Vive l’argent… gratuit

par Jacques Treiner |  publié le 09/03/2024

Comment financer des activités indispensables, mais non rentables ? Par la création monétaire…

Le logo de l'euro à Francfort-sur-le-Main, dans l'ouest de l'Allemagneavant la réunion du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) - Photo Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Imaginons que quelqu’un veuille démarrer une activité artisanale ou industrielle sans avoir, en termes de capacité d’investissements, ce qu’il faut. Il va voir son banquier préféré et lui demande de lui accorder un prêt. On pourrait naïvement penser qu’avant de prendre une décision, le banquier va aller voir dans son coffre s’il dispose de la somme demandée. Pas du tout. Il va examiner la viabilité du projet, ses perspectives de développement, et évaluer s’il permettra au demandeur d’effectuer les remboursements prévus, intérêts compris.

Après quoi, si son estimation est positive, par un simple jeu d’écriture, il crédite le compte du demandeur de la somme convenue : c’est de la création de monnaie, accompagnée, pour le demandeur, d’un endettement. La banque crédite le compte du demandeur du montant de l’emprunt, et inscrit en contrepartie une dette du même montant. Avec cet argent, il pourra réunir matériaux, machines et compétences pour effectuer les travaux nécessaires, et quelques mois plus tard, l’activité peut démarrer. Et l’emprunteur va rembourser la banque avec de la monnaie qui, elle, est obtenue par de l’activité productive et commerciale. Ce retour annule progressivement la création monétaire initiale.

Ce mécanisme a permis de concentrer dans un temps court des dépenses d’investissement que les revenus du demandeur ne permettaient de rassembler que sur la durée. Dans l’histoire du capitalisme, cela a joué un rôle d’orientation (décision de la banque de prêter) et d’accélérateur d’activités (déplacement de l’argent dans le temps) d’une importance primordiale.

Imaginons à présent que l’État décide de construire un hôpital, exemple d’une production nécessaire, mais ne générant, pour l’exemple, aucun profit. La collectivité décide ainsi de mobiliser des moyens, en temps de travail humain, en machines et en matières premières, pour que l’édifice soit construit. Ces moyens peuvent être financés par les impôts. Mais pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme de création monétaire permettant de réaliser les travaux ? La différence avec le cas précédent tiendrait à ce que cette création ne s’accompagnerait d’aucune dette !

Si vous voulez en savoir plus, lisez « Le pouvoir de la monnaie », un superbe livre de Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron. Voici quelques lignes de leur conclusion, où ils distinguent le financement d’activités commerciales et le financement d’activités nécessaires, mais non lucratives :

« Ce financement monétaire désencastré de la dette serait rendu possible par le mode volontaire de création monétaire qui viendrait […] s’articuler aux modes bancaires traditionnel et acquisitif de création monétaire utilisés à l’heure actuelle. Un mode volontaire par lequel un Institut d’émission monétaire pourrait décider la création des quantités nécessaires de monnaie pour les affecter aux investissements socialement et écologiquement indispensables, mais financièrement non rentables. Cette émission monétaire serait la traduction pure et simple de l’expression d’une volonté politique démocratique, et serait directement affectée aux objectifs d’intérêt général, et serait sans contrepartie comptable exigible, sans remboursement ni intérêt. »

Jacques Treiner

Chroniqueur scientifique