Vive le roi ?

par Laurent Joffrin |  publié le 21/09/2023

On polémique sur une République qui met les petites porcelaines dans les grandes pour recevoir un monarque. On oublie au passage le vrai paradoxe qui marque la visite de Charles III.

Laurent Joffrin

Funestes fastes ? Faute de goût monarchique dans un pays républicain ? Banquet indécent quand une partie des Français doivent économiser sur leurs repas ? Le procès est compréhensible, le contraste choquant. La juxtaposition du luxe versaillais et de la misère des quartiers suscite la gêne et, parfois, l’indignation. Polémique classique et quelque peu attendue.

Une anecdote vient tempérer le réquisitoire. En 1982, un an après la victoire de la gauche, un débat divisa les hautes sphères : fallait-il recevoir le G7 avec une certaine munificence, ou bien jouer la sobriété qui sied à un gouvernement hautement social ? Certains proposèrent d’abriter le sommet dans une friche industrielle, d’autres dans une austère salle du nord. Soucieux de marquer la légitimité du pouvoir socialiste, François Mitterrand refusa de déroger à la tradition qui conduit la République française à user du prestige de son patrimoine d’Ancien Régime pour recevoir les chefs d’État étrangers avec les égards coutumiers. Sous sa présidence très socialiste, François Mitterrand organisa donc le sommet du G7 à Versailles et dîna lui aussi en grande pompe dans la Galerie des Glaces. Ainsi va la diplomatie qui suppose un certain décorum. Quant à l’argument du contraste avec les difficultés des Français, il vaut pour toutes les époques : il faudrait donc proscrire tout apparat. Au demeurant, beaucoup de Français, admirateurs discrets de la monarchie britannique, y auraient même vu une mauvaise manière faite à un roi très francophile.

En fait, la visite du souverain britannique a mis en lumière un autre paradoxe, plus politique et plus inquiétant pour l’avenir. Au moment où Charles III exhortait Français et Britanniques à une nouvelle « Entente Cordiale » pour sauvegarder la planète, à Londres, Rishi Sunak, premier ministre, venait d’annoncer qu’il repoussait d’au moins cinq ans les efforts de son gouvernement en faveur de la lutte pour le climat. On se demande parfois si la royauté anglaise n’est pas plus lucide que ses gouvernements. De de même qu’Élizabeth II réprouvait le Brexit in petto, Buckingham est plus écologiste que le 10 Downing Street. Faudrait-il rétablir les pouvoirs de l’ancienne monarchie ?

Il y a dans le geste anti-climat de Rishi Sunak un calcul politique qui risque de se répandre. Le Parti conservateur a récemment conservé une circonscription perdue d’avance en faisant campagne contre les restrictions de la circulation automobile décidée par le maire travailliste de Londres. Manifestement, le Premier ministre en a déduit qu’une politique moins écologique pouvait payer dans une élection. Dans beaucoup de pays, la droite et l’extrême-droite comptent mobiliser l’électorat contre l’écologie, par nature « punitive », contre les écologistes, « des idéologues fous », contre les investissements et les contraintes qu’implique une lutte active pour le climat. Danger majeur : à un moment où les climato-sceptiques, avec des habits neufs, reprennent de l’influence, le discours antiécologique pourrait assurer une prime politique aux conservateurs de tous poils. Voilà qui mérite réflexion. 

Laurent Joffrin