Vivre avec la guerre

par Laurent Joffrin |  publié le 07/03/2024

La boulette d’Emmanuel Macron sur l’envoi de soldats en Ukraine a une vertu inattendue : faire comprendre à l’opinion que la défense de l’Ukraine est aussi la nôtre.

Laurent Joffrin

Cela ressemble à une gaffe dans laquelle on s’enferre pour ne pas se déjuger. En évoquant la possibilité de déployer des troupes occidentales en Ukraine, hypothèse nébuleuse, Emmanuel Macron a déclenché un concert de réprobation en Europe et mis en lumière son isolement. Il a surtout obligé les gouvernements de l’Union à affirmer haut et fort qu’ils n’enverraient jamais un seul soldat sur le front ukrainien. En un mot, il a fait les affaires de Poutine.

Il a aussi incité les oppositions en France à se draper toutes dans un pacifisme de bon ton, dans une dénonciation unanime de « l’irresponsabilité » macronienne, ce qu’elles n’ont pas manqué de faire en rencontrant le président hier à l’Élysée. Au passage, à sa grande satisfaction, le Rassemblement national se retrouve placé dans le camp des prudents, des sérieux, des défenseurs de la paix, contre les aventuristes et les « bellicistes ».

Vertu

Au bout du compte, cette boulette a néanmoins une vertu. Non pas habituer l’opinion à l’idée d’envoyer de jeunes Français se faire tuer en Ukraine, ce qui n’est en rien à l’ordre du jour. Mais lui faire comprendre que le conflit concerne la France plus qu’elle ne le croit, que derrière les suppositions, les élucubrations, les vaticinations macroniennes, il y a un enjeu décisif : l’avenir des valeurs démocratiques, la capacité d’un pays comme la France à se hisser à la hauteur du défi poutinien et son aptitude à résister aux agressions des régimes tyranniques. Réalité angoissante, mais réalité dont l’opinion commence à prendre conscience.

Du coup, les camps se distinguent, les oppositions se creusent, les divisions apparaissent au grand jour. De Mélenchon à Le Pen, en passant par Henri Guaino, Michel Onfray ou Natacha Polony, une coalition de faux réalistes essaie de nous faire croire qu’en cédant à la force russe, en réclamant une paix immédiate – qui passe évidement par une reddition ukrainienne -, Vladimir Poutine s’apaisera soudain, respectera les lignes de cessez-le-feu et renverra dans un geste magnifique ses soldats dans leur caserne. Alors qu’il tient depuis le début l’Ukraine comme une province de l’empire, et qu’il ne verra, dans tout arrangement, qu’une pause dans son entreprise de reconquête.

La vraie question

Loin du débat factice sur l’envoi de troupes à l’est, qui ne pourrait avoir lieu que dans des circonstances désespérées, la vraie question est celle-ci : faut-il ou non renforcer d’urgence l’Ukraine pro-européenne et démocratique en lui livrant les armes qu’elle demande ? Ou bien faut-il baisser pavillon et se résigner à récompenser l’agression russe, avec toutes les conséquences géopolitiques qui en résulteront ?

Il ne s’agit pas de déclencher la troisième guerre mondiale ou de risquer l’apocalypse atomique. Il s’agit d’opposer aux armées russes attaquantes une force ukrainienne revigorée, capable de se défendre contre l’agression. Il s’agit de faire comprendre à Poutine que les Européens ne sont pas cet ensemble de nations décadentes qu’il affecte de mépriser et qui trembleraient devant un pays dont le PIB est inférieur à celui de la France. Autrement dit, il s’agit de montrer que les peuples libres d’Europe sont décidés à défendre leurs idéaux en continuant de soutenir le vaillant peuple ukrainien.

Laurent Joffrin