Voyage en Algérie d’un Brésilien
Dans Le Marin des montagnes, le réalisateur brésilien Karim Aïnouz découvre pour la première fois l’Algérie, le pays de son père. Par Tewfik Hakem
Architecte et photographe avant de s’épanouir en tant qu’artiste contemporain (hype) et cinéaste abonné aux sélections officielles de Cannes, Karim Aïnouz est brésilien comme son nom ne l’indique pas. Enfant du soleil et de la mer, il est né le 17 janvier 1966 à Fortaleza, dans la région du Nordeste, où il a grandi avec sa mère et sa grand-mère, brésiliennes, et avec ce prénom et ce nom, exotiques, hérités d’un père qui les a quittés quand il était bébé- et qui n’est jamais revenu.
À la mort de sa mère, Iracema, Karim Aïnouz, 54 ans, filme son premier voyage en Algérie. De Marseille à Alger, avant de prendre la route pour Tagmut Azzuz, le petit village kabyle d’où est originaire Madjid, son père.
Journal de bord intime en forme de lettre à sa mère. « Je t’écris au milieu de nulle part. En pleine Méditerranée, à bord d’un bateau rouillé battant pavillon algérien. Dans vingt heures, l’Algérie ne sera plus un point aveugle dans ma tête, et tu ne seras pas là pour découvrir cet endroit qui nous a hantés toute notre vie, elle aura une odeur, une couleur et un visage… » Ainsi commence Le Marin des montagnes, le très arty film de Karim Aïnouz (dans quelques salles d’art et d’essai depuis le 17 avril), et il tient parfaitement ses promesses.
Jamais sur grand écran l’Algérie et les Algériens n’ont été aussi bien incarnés. Quand le cinéaste débarque à Alger, on est à quelques jours des premières manifestations du Hirak, les marches massives et pacifiques pour exprimer le ras-le-bol contre le régime de Bouteflika. Les femmes et les hommes, toutes générations confondues, que le cinéaste brésilien rencontre lors de son odyssée algérienne, sont pour la plupart fatigués, autant marqués par les crises du présent que par les traumatismes du passé.
Karim Aïnouz filme la beauté des corps et la profondeur des blessures en observateur amoureux, il enregistre les dialogues et les silences, met en scène ou fige en photos les rencontres impromptues et les instants suspendus, autant d’instantanés qu’il transforme en moments intenses pour les raconter à sa mère.
Il n’y a toujours pas mieux que la fiction pour servir le réel. Des petits détails qui en disent long aux grands espaces silencieux, Karim Aïnouz consigne dans ce film l’inventaire des objets et bibelots de la vie moderne algérienne comme il filme les paysages désolés de ce beau pays : sans avoir à les commenter. Montage psychédélique, images retravaillées, couleurs et musiques pop, Le Marin des montagnes nous emporte dans son doux tourbillon et peut nous raconter plusieurs histoires à la fois : une flamboyante et tragique love-story à la Douglas Sirk dans les utopiques années 60, entre un étudiant algérien et une étudiante brésilienne qui rêvent de révolutions; un conte onirique kabyle avec une jeune déesse berbère qui croit modérément en l’avenir; et un road-trip rare donc héroïque dans l’Algérie et avec les Algériens d’aujourd’hui.