Wagner et l’or du Nil

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 02/07/2023

En marchant sur Moscou, la « rébellion Wagner », milice privée dirigée par Evguéni Prigogine, a semblé défier Poutine. En réalité, l’un a besoin de l’autre. Wagner n’est que la partie la plus visible de la toile tissée par l’homme, en Russie, mais aussi en Afrique

Manifestants pro-Wagner au Mali- Photo FLORENT VERGNES / AFP

De façon peut-être ironique sinon cynique, « Concord » est le nom choisi par Prigogine pour la holding gérant sa fortune considérable. Derrière Concord, il y a bien d’autres enjeux que ceux d’une simple milice privée, même de 25 000 hommes. D’abord, ceux des énormes marchés d’État en Russie, ceux du « marché de l’influence » avec l’IRA (Internet Research Agency), mais surtout de multiples activités dans plusieurs états africains, Lybie, Soudan, Mali, Centrafrique dont Wagner – un élément du groupe parmi d’autres – permet d’assurer la sécurité.

De ce fait, il y a deux visages de Wagner : la milice armée en guerre en Ukraine et la force destinée à protéger les affaires africaines du groupe Concord, en assurant leur logistique routière ou aérienne ou en contrôlant si nécessaire les douanes des pays concernés. Un business lui-même vecteur politique et économique important de l’influence russe en Afrique. Conséquence : Poutine aurait beaucoup à perdre en perdant Prigogine.

Les « nouveaux pilleurs d’Afrique » comme les surnomme « Jeune Afrique » n’ont en effet rien à envier aux anciens colonisateurs. Leurs méthodes sont certes différentes. Ils n’opèrent pas selon le régime de la conquête, mais, quand leurs intérêts sont en jeu, ils savent autant manier l’arsenal politique que les armes des mafias ordinaires.

On ne comprendrait pas, par exemple, l’influence qu’exerce le groupe sur le régime centrafricain si l’on n’avait pas en mémoire le rôle joué dans le règlement du conflit entre le président Faustin-Archange Touadéra et les groupes armés qui s’opposaient à lui.

Ce qui apparait ainsi comme une intervention militaire du groupe Wagner en Afrique n’est donc pas seulement guidée par des motifs politiques visant à renforcer l’influence russe, elle l’est tout autant par l’intérêt du groupe pour nombre de ressources naturelles du continent. L’or en particulier, comme le démontrent ses multiples tentatives pour mettre la main sur les nombreuses concessions minières du Mali.

Si Prigojine semble jusqu’ici avoir échoué à s’emparer des mines contrôlées par différents consortiums, canadiens, américains ou australiens, le groupe s’est lancé efficacement dans l’orpaillage, au point que de nombreux observateurs font état de vols discrets, mais réguliers – assurés par la logistique aérienne de Wagner voire de l’armée russe- du Mali vers Dubaï et les Émirats arabes unis, plaque tournante notoire du trafic mondial de l’or, du diamant et autres métaux précieux.

Le même constat peut être fait en Libye pour le pétrole, ou au Soudan et en Centrafrique où l’intérêt du groupe Concord pour les mines de métaux précieux ou les forêts à essences rares, a même engendré une organisation spécifique à travers des filiales dédiées. Le coup le plus spectaculaire réalisé récemment a été leur succès dans la maitrise du marché du diamant en Centrafrique (www.jeuneafrique.com du 20 juin 2023).

On peut ainsi tout imaginer du sens de la chevauchée inattendue de Prigogine vers Moscou. Provocateur et téméraire, il signifie à Poutine qu’il veut en finir avec cette guerre en Ukraine qu’il sait injustifiée et perdue d’avance. Et se consacrer à nouveau à ses vraies affaires, en Russie comme en Afrique, ajoutant ainsi, grâce à Wagner, l’or du Nil à l’or de la Neva. Un eldorado dont Poutine ne veut certainement pas se priver.

Jean-Paul de Gaudemar

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