Yoon ne passera pas

par Malik Henni |  publié le 04/12/2024

Un Président qui perd les législatives, une opposition de gauche qui demande un changement dans la conduite du Gouvernement et un projet de loi budgétaire qui met les nerfs à vif : recette pour la pire crise politique depuis des décennies… 

Manifestations contre le président sud-coréen Yoon Suk Yeol à Séoul, le 4 décembre 2024 (Photo de Philip Fong / AFP)

À plus de 8 000 kilomètres de Paris, le Président Yoon a tranché le nœud gordien d’une manière bien peu démocratique : il a déclaré la loi martiale, accusant l’opposition de centre-gauche de liens avec Pyongyang. Ces éléments de langage rappellent les dictatures militaires qui ont gouverné la Corée du Sud, sous le même régime de pouvoir totale à l’armée et à la police, entre 1963 et 1993. L’affaire a tourné à l’eau de boudin, mais résulte de plusieurs mois de dysfonctionnement de l’État sud-coréen.

Procureur, élu président en 2022, Yoon Suk-yeol a fait campagne sur des thèses misogynes et conservatrices, agitant amplement la peur du rouge alors que les tensions avec le Nord ne semblent pas retombées. Partisan d’une semaine de travail de 69h, de la privatisation des entreprises publiques et de la baisse des impôts sur les sociétés, il avait également promis d’augmenter les peines de prison pour les dénonciations calomnieuses pour viol et agressions sexuelles, tout en soutenant une suppression du ministère à l’Égalité Hommes-Femmes. Ces mesures ont rencontré un écho favorable dans une société coréenne encore très patriarcale.

Son mandat a été émaillé de tellement de scandales que les exposer ici deviendrait fastidieux. Il a couvert son vieil ami Chung Jae-ho, ambassadeur à Pékin, pourtant accusé d’harcèlement par ses propres services. Il n’a pas respecté le pouvoir de contrôle du Parlement, qui joue un rôle comparable à celui du Congrès des Etats-Unis : les chefs des administrations ne répondaient pas aux convocations des parlementaires sur ordre de l’exécutif. Les attaques contre les journalistes ont fait chuter la Corée du Sud de la 47ème à la 62ème place du classement RSF de la liberté de la presse. Des émissions du service publique audiovisuel critiques du gouvernement ont été fermées. Il utilise son droit de grâce pour faire sortir de prison plusieurs pontes conservateurs corrompus, comme l’ancien président Lee Myung-bak… 

Le baril de poudre a explosé en début d’année, quand la femme de Yoon a été accusée d’avoir accepté un pot-de-vin, en l’occurrence un sac à main de luxe reçu en 2022.

Pour rappel, l’opposition de centre-gauche, le Parti Minju, a remporté les législatives le 11 avril, avec 60% des sièges. Le bras de fer entre les deux branches du pouvoir a ensuite bloqué l’appareil d’État : le Président a alors abusé de son droit de veto pour bloquer à son tour et à trois reprises une commission d’enquête sur les malversations de son épouse. La discussion sur le budget se grippe le 29 novembre, quand l’opposition décide de supprimer des crédits pour la police, du parquet et de la présidence. Trois jours plus tard, Yoon déclare la loi martiale pour « renforcer la démocratie ». Les 190 députés présents à la Chambre votent contre, après avoir repoussé à mains nues des membres des forces de l’ordre et escaladé des barricades. 

Yoon fait désormais face à une procédure de destitution dont il semble difficile d’imaginer qu’il puisse sortir indemne. Son parti l’a lâché, ses collaborateurs ont démissionné et la Confédération coréenne des syndicats a appelé à la grève générale et illimité. Le félon ne s’est plus montré depuis son pronunciamento raté. 

Malik Henni