Zaporijia : Une centrale nucléaire en plein cœur de la guerre
Est-ce une bombe au cœur de l’Ukraine? Non, pas tant qu’elle n’est pas elle-même bombardée. Qu’il reste de l’électricité et de l’eau pour la refroidir. Et que techniciens russes et ukrainiens continuent à collaborer…
Le 24 février 2022, l’armée russe envahit l’Ukraine. Le 4 mars, on apprend que les Russes ont pris le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia, la principale du pays et la plus puissante d’Europe. En quelques jours – cf. figure ci-dessous – la puissance délivrée par le parc a été réduite de près de la moitié, et les 6 réacteurs de Zaporijia ont été petit à petit mis à l’arrêt.
Rappelons que le pays dispose de 15 réacteurs, répartis en 4 centrales, pour une puissance totale installée de 13 GW (soit environ 20% de la puissance nucléaire installée en France).
Disons tout de suite que si les Russes avaient voulu précipiter un accident nucléaire, ils l’auraient fait depuis longtemps ! Aucun incident nucléaire ou radiologique n’a été signalé à ce jour, mais il est légitime de s’interroger sur les risques associés à la situation de guerre concernant la sécurité, tant aux échelles locale et nationale qu’européenne.
Les problèmes peuvent venir de ce que, lorsqu’on arrête un réacteur, il continue de produire de la chaleur : quelques pour cents de sa puissance nominale. Si cette chaleur n’est pas évacuée, la température au sein de la cuve monte, pouvant conduire à une fusion du cœur ; des réactions chimiques impliquant le zirconium des barres d’uranium peuvent alors produire de l’hydrogène dont la pression augmente rapidement, d’où risque de rupture de l’enceinte de confinement et libération de radioactivité dans l’environnement. C’est, en gros, ce qui s’est passé à Fukushima.
D’où vient la production de chaleur quand un réacteur est à l’arrêt ?
Ces réacteurs, de conception russe, sont semblables aux réacteurs à eau pressurisée utilisés majoritairement au monde – y compris en France. Le combustible d’uranium est composé d’un mélange d’uranium-235 (l’isotope qui fissionne après absorption d’un neutron) et d’uranium-238 (qui absorbe les neutrons qu’il reçoit). Les produits de fission sont radioactifs, ainsi que les noyaux atomiques formés à partir de l’uranium-238.
C’est cette radioactivité qui produit la chaleur à évacuer. Il est donc indispensable de disposer d’une alimentation électrique externe, permettant d’actionner les pompes de circulation de l’eau de refroidissement des assemblages combustibles et du combustible entreposé dans la piscine située dans l’enceinte du réacteur.
Aujourd’hui, une seule ligne d’alimentation électrique de 750 000 Volts est opérante pour assurer le fonctionnement des systèmes de refroidissement. En cas de défaillance de cette alimentation électrique, 20 groupes électrogènes de secours sont disponibles pour prendre le relai et assurer l’alimentation électrique de la centrale.
Quant à l’approvisionnement en eau, la destruction partielle début juin du barrage de Kakhovka, situé environ à 150 km au sud de la centrale, a entraîné une baisse du niveau d’eau du fleuve au droit de la centrale. Mais lorsque les réacteurs sont à l’arrêt, le refroidissement est assuré par des bassins équipés de systèmes d’aspersion.
Les six réacteurs de la centrale étant à l’arrêt depuis plusieurs mois, la chaleur à évacuer est limitée et l’autonomie de ces bassins est, dès lors, de plusieurs semaines. Des appoints peuvent être réalisés à partir d’un bassin de rétention, qui constitue une réserve d’eau très importante.
On le voit, les conditions techniques d’évacuation de la chaleur résiduelle ne sont, en principe, pas difficiles à réaliser, pour autant que les installations adéquates ne sont pas bombardées. Mais du point de vue humain, les conditions d’exploitation sont particulièrement difficiles pour le personnel ukrainien sur site, car une grande partie a été remplacée par du personnel russe.
Comment parviennent-ils à assurer l’indispensable collaboration ? La décision prise par les Russes d’évacuer massivement les populations situées à proximité de la centrale, notamment la ville d’Energodar, contribuent sans doute à fragiliser encore plus la situation du personnel.
L’humain, encore l’humain : c’est sans doute à ce niveau que se situent les faiblesses actuelles de la centrale…