Zelensky chez les yankees

par Emmanuel Tugny |  publié le 04/10/2024

Qu’est donc venu faire Zelensky aux États-Unis la semaine passée qu’il n’ait déjà maintes fois fait depuis février 2024 ?

Volodymyr Zelensky et Donald Trump, le 27 septembre 2024, à New York. (Photo - Handout / Service de presse présidentiel ukrainien / AFP)

Son équipe récemment purgée de ses éléments les plus enclins à négocier avec Moscou une paix fondée sur des cessions territoriales contentant l’irrédentisme russe (celles des « cinq régions » revendiquées urbi et orbi par Poutine, Donetsk, Louhansk, Kherson, Zaporijia, la Crimée), le président ukrainien n’est pas venu présenter ce plan de paix dont il réserve la primeur au tour de table international de novembre. Tour de table qui succédera à celui du Nidwald de juin, auquel ne devraient prendre part ni Russie ni Chine ni Iran ni même Inde.

Il est, au contraire, venu vanter un « plan de victoire » conçu avec le docile Syrsky, son chef d’État-major, au regard des avancées ukrainiennes récentes en territoire russe auxquelles Moscou ne pare toujours qu’en fronçant le sourcil et en agitant le hochet atomique.

Fort de la promesse d’un prêt de 35 milliards de Bruxelles, le président ukrainien a effectué en terre et en temps d’élection un tour de manège qui l’a conduit à visiter un fleuron de l’industrie d’armement yankee en Pennsylvanie, à rencontrer Biden, Harris et Trump, et à intervenir à la tribune de l’ONU, où il a fustigé les soutiens de Moscou et évoqué la nécessité de « contraindre la Russie à la paix » par les armes.

On connaît la substance du plan de victoire de Zelensky : il repose pour l’essentiel sur une offensive lancée en novembre qui assommerait une Russie qui avance à tous petits pas dans le Donbass en dépit de pertes humaines considérables. Cette offensive létale se fonderait sur un déclenchement de frappes de longue portée dans la profondeur du territoire contre des installations militaires, des nœuds de communication et des centres énergétiques.

Or, ces frappes, l’administration américaine ne les a toujours pas formellement permises à Kiev.

Elle ferme les yeux et serre les poings, en la matière, terrorisée par l’idée d’une victoire de la Russie sur un mandataire objectif de l’Otan et aussi par celle du démantèlement d’une fédération défaite dont procéderait immanquablement l’enflammement du Caucase où s’affaire une internationale islamiste chaque jour plus immaîtrisable.

Zelensky est venu parler aux chapeaux à plume américains. Non plus de résistance, non plus d’évitement d’une probable défaite, mais d’une victoire imminente. Celle-ci ne dépendrait plus que de la magnanimité d’une Amérique informée de ce que tout l’Ouest démocratique représenté par Kiev est au bord d’administrer une fessée à la Russie sous perfusions chinoise, coréenne ou iranienne, incapable de sécuriser son territoire, au bord du gouffre économique et de l’effondrement stratégique.

En un mot, c’est une Ukraine revigorée qui s’est présentée à Washington, une Ukraine presque oublieuse de la progression russe dans le Donbass qu’elle s’évertue à présenter comme vénielle en comparaison de la démonstration administrée, à Koursk, de la vacance de sécurité intérieure russe qu’avaient déjà attestée l’équipée de feu Prigojine de juin 2023 et l’attentat du Crocus hall de mars dernier.

Face au Churchill cosaque, qu’auront dit les Roosevelt focalisés sur les résultats de novembre ?

Trump fanfaronne sur sa capacité à mettre fin à la guerre « en 24 heures ». Il semble avoir été converti au printemps, notamment par Mike Johnson, au soutien à Kiev, soutien que Biden lui assure, parfois contre son camp qui n’est pas exempt de poussées de fièvre isolationnistes au regard des enjeux économiques internes (endettement national, inflation, raidissement des marchés du « sud global »…), soutien que ne devrait pas lui mégoter une Harris élue.

Tout du moins, l’heure n’est pas, pour les candidats, à une prise de risque géopolitique supplémentaire, qu’au reste ils ne souhaitent pas, face à un électorat que la participation à la vie internationale des USA, quand elle l’intéresse – ce qui est rare – angoisse bien davantage qu’elle ne l’emplit d’orgueil.

Il y a fort à parier que Zelensky obtiendra bien peu dans les jours qui viennent, et qu’il l’obtiendra sous cape et sous réserve de patiente et bien comprise acceptation d’un délai de quelques mois.

Emmanuel Tugny

Emmanuel Tugny