Zemmour et Saint-Augustin
Le leader de Reconquête invoque le théologien chrétien pour étayer ses thèses. À ses risques et périls…
Pour justifier son hostilité aux migrants qui frappent à la porte de l’Europe, Éric Zemmour a trouvé un allié de taille : Saint-Augustin, évêque d’Hippone, grand théologien de la chrétienté, dont il a cité l’un des aphorismes : « on ne peut pas faire le bien jusqu’au mal ». Sous-entendu, on croit faire le bien en accueillant les étrangers mais on fait le mal. Argument massue : ainsi, même les pères de l’Église se méfieraient des bons sentiments, ce qui vient contredire les appels à l’accueil régulièrement émis par le pape François.
Las ! Les spécialistes qui se sont penchés sur la citation n’en trouvent aucune trace dans les écrits de Saint-Augustin. Le Monde nous apprend ainsi que Jean-Marie Salamito, spécialiste de l’histoire du christianisme antique, n’a pas réussi à mettre la main sur cette prétendue formule « ni en français, ni en latin », ni même d’ailleurs une idée approchante : « L’idée que l’on puisse faire du bien et aboutir à du mal, ajoute cet érudit, ne me semble ni augustinienne ni chrétienne »
C’est une méthode bien connue des potaches que d’inventer des citations pour étayer une dissertation en ayant l’air d’un érudit. Mais en général on recourt à des proverbes chinois à l’origine invérifiable ou à d’obscurs auteurs ensevelis dans la poussière des bibliothèques que l’on peut invoquer sans risque d’être contredit. Citer Saint-Augustin ? Nettement plus risqué… On peut d’ailleurs voler au secours de Zemmour en lui proposant des citations à l’authenticité incontestable dans tous les sens du terme. Ainsi cette maxime coranique du grand théologien musulman Izz al-Mansur-Ibn-al-Facho, qui donnait par avance sa caution au leader de Reconquête : « Dieu est grand et Zemmour est son prophète ». Ou encore cette version améliorée du « Frappez et on vous ouvrira » de l’Évangile – qui sent par trop son droit-de-l’hommisme – avancée par l’évêque catholique du 12ème siècle Anastase de Vichy : « Frappez et on vous claquera la porte au nez ».
Ces palinodies ont une origine : le discours d’ouverture et de charité du pape François a le don de mettre en transes les leaders d’extrême-droite. La parole pontificale vient sans cesse réfuter la xénophobie de Reconquête, qui compte pourtant sur le soutien des cathos tradis. Vade retro, pape François ! Marion Maréchal-Le Pen reproche au souverain pontife de « faire de la politique » (comme si l’Église catholique n’avait pas une opinion sur les affaires du monde). L’extrême-droite attend avec impatience la mort de François et son remplacement par un pape plus conservateur.
Attente un peu vaine : l’accueil des migrants est un précepte mis en avant depuis toujours par les catholiques sincères, depuis la parole du Christ jusqu’aux discours actuels du Vatican. Beaucoup de catholiques sont engagés dans les associations d’aide aux migrants. En prêchant l’ouverture aux étrangers, François se contente de rester dans la ligne définie par les Évangiles, qui heurtent de front les thèses zemmouriennes. Les leaders de l’extrême-droite – en tout cas ceux qui sont catholiques – devraient se méfier. Dans les années trente, l’Église a condamné sans ambages les thèses de Maurras, leur maître à penser et décidé que les catholiques demeurés fidèles à l’Action française seraient « traités avec la plus grande sévérité en pécheurs publics, privés des sacrements et des funérailles religieuses ».