1 – Une écologie à la française ?
Que ferons-nous quand les ressources fossiles seront épuisées ? Jacques Treiner et Jean Peyrelevade ouvrent le débat. Première partie : gérer sobriété et planification
Jean-Baptiste Say, l’un des fondateurs de la théorie économique, écrivait en 1803 dans son Traité d’économie politique : « Les ressources naturelles sont inépuisables, car sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant ni être multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques. »
On n’échappe pas au sentiment de sidération que cette citation suscite : elle traduit tellement bien, dans une concision quasi poétique, un état de l’humanité se mouvant au sein d’une nature infinie et qui, selon la Bible, est mise à sa disposition : « Emplissez la terre et soumettez-là », tel est le commandement initial !
L’opposition frontale avec l’ère nouvelle que nous vivons, l’Anthropocène, participe de cette sidération. L’Anthropocène – l’Ère de l’humain – désigne en effet les temps où l’efficacité redoutable de nos actions rend perceptible la taille finie du système-Terre.
Quel est le paradigme de l’exploitation d’une ressource constituant un stock fini ? La production démarre de zéro, et retourne à zéro lorsque le stock est épuisé. Entre les deux, la production passe par un maximum, communément appelé « pic ». On peut se représenter cette évolution comme une courbe « en cloche », ornée de fluctuations plus ou moins importantes.
Voyons ce que cela donne pour les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz), qui constituent des stocks générés au cours de centaines de millions d’années d’évolution de la planète.
Un géologue américain, Marion K. Hubbert, a proposé en 1956 un modèle simple qui lui a permis de prévoir correctement que la production américaine de pétrole aurait son pic au début des années 1970.
Lorsqu’on applique ce modèle aux ressources énergétiques mondiales, on obtient ceci :
Les courbes présentant des irrégularités indiquent les consommations passées, les courbes lisses sont celles données par le modèle. L’unité adaptée à ces productions énergétiques est le « milliard de tonnes-équivalent-pétrole » (Gtep). Les valeurs des stocks utilisées ici sont 650 Gtep de charbon, 490 Gtep de pétrole et 330 Gtep de gaz. La courbe rouge représente la somme des trois autres.
Concentrons-nous sur la forte décroissance de la production de combustibles fossiles au cours des prochaines décennies.
Elle a comme conséquence que les trajectoires d’émission de gaz carbonique les plus pessimistes considérées par le GIEC ne sont pas réalistes, car elles supposent au contraire une croissance ininterrompue.
Mais elle induit également une interrogation fondamentale : serons-nous capables de mettre en place à la bonne échelle de temps suffisamment de sources décarbonées – renouvelables et nucléaire – pour remplacer les fossiles, et permettre de maintenir le niveau de vie des pays riches tout en assurant le développement des pays émergents et pauvres ?
Dans le cas contraire, comme l’énergie fait fonctionner les machines qui produisent les biens et les services que nous consommons, il faudra gérer collectivement une décroissance de cette production : ce couplage de sobriété et de planification, n’est-ce pas une possible écologie à la française ?