Borne-Macron : rupture historique

par Laurent Joffrin |  publié le 30/05/2023

Le président a désavoué sa première ministre publiquement sur la vraie nature du Rassemblement national. Cette divergence à connotation historique signe un divorce politique

portrait de Laurent JOFFRIN le 23 juillet 2020

Chef d’œuvre de langue de bois, digne de George Orwell… En conseil des ministres, Emmanuel Macron contredit avec éclat les propos d’Élisabeth Borne sur le Rassemblement National, selon lesquels le RN est « l’héritier de Pétain ».

Aussitôt, l’Élysée assure à l’Agence France-Presse que « le président de la République ne recadre jamais la Première ministre en Conseil des ministres ». C’est pourtant, exactement, ce qu’il vient de faire ! Tel est le pouvoir de Jupiter, décider que ce qui vient de se produire n’a jamais eu lieu.


Venue de la gauche, persuadée que le Rassemblement national n’est pas le parti assagi et démcratique qu’il prétend être, Élisabeth Borne, sur Radio J, a dit ceci : « Je ne crois pas du tout à la normalisation du Rassemblement National. Je pense qu’il ne faut pas banaliser ses idées, ses idées sont toujours les mêmes. Alors maintenant, le Rassemblement National y met les formes, mais je continue à penser que c’est une idéologie dangereuse ».

Le RN, héritier de Pétain ? « Oui, également, héritier de Pétain, absolument ». Qu’en est-il de Marine Le Pen ? « Je n’ai jamais entendu Marine Le Pen dénoncer ce qu’ont pu être les positions historiques de son parti et je pense qu’un changement de nom ne change pas les idées, les racines ».


A-t-elle vraiment tort ? Voilà, en tout cas, le jugement qu’Emmanuel Macron vient de rejeter d’un revers de main devant son gouvernement rassemblé. Humiliation spectaculaire, divergence plus profonde que ce qu’on pourrait croire à propos d’une controverse ressortissant de l’histoire. Plutôt que de s’expliquer avec l’intéressée, le président a préféré la contredire publiquement, en disant qu’il ne fallait pas combattre le RN avec « des arguments moraux », pour ajouter aussitôt : « vous n’arriverez pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite que ce sont des fascistes ».


Morigénée comme un enfant, Élisabeth Borne décidera elle-même de la taille des couleuvres qu’elle doit ingurgiter pour rester à Matignon. Elle garde des réflexes de gauche, lui non. En tout état de cause, il est clair qu’entre la Première ministre et le président, le courant ne passe plus. LeJournal l’avait déjà pointé en avril, sous la plume de Valérie Lecasble, bien avant la cohorte paresseuse des commentateurs attitrés. La question n’est plus de savoir si, publiquement désavouée, Élisabeth Borne va quitter son poste, mais quand.


Sur le fond, contrairement à l’opinion convenue, on donnera le point à la Première ministre, même si l’argument d’Emmanuel Macron ne manque pas de pertinence. C’est un fait qu’à sa fondation, le Front national de Jean-Marie Le Pen se situait dans la continuation du pétainisme.

À la tribune du premier congrès s’alignaient les survivants de la Collaboration la plus affirmée, antisémites notoires, épurés de 1944, anciens de la Milice ou de la Révolution nationale, ex-Waffen-SS ou fantômes du maréchalisme dévot. La présence de quelques vieux résistants, tel Georges Bidault, rallié ensuite à l’Algérie française, n’y changeait pas grand-chose. Le nationalisme étroit du FN, ses penchants négationnistes, ses allusions antijuives, son programme de « préférence nationale » et son obsession xénophobe en attestaient.

Sur ce point, Élisabeth Borne, fille de déporté, a laissé, à juste titre, parler sa sensibilité. Et à lire le programme du RN aujourd’hui, qui peut, de bonne foi, devant tant d’agressivité envers l’étranger, l’Europe, l’état de droit, les droits de l’Homme, penser que le RN a vraiment renié son héritage ? L’argument moral ne vaut plus, dit Macron. Pourtant, quand on s’inquiète de la résurgence de ces idées nationalistes et sectaires, de quoi parle-t-on, sinon de morale ?


En revanche, le président pointe un fait : seule une action résolue destinée à remédier aux maux de la société française permettra de priver le RN de son audience. Sur ce point, Macron a raison et la gauche devrait en prendre bonne note : on doit dénoncer le RN pour son idéologie.

Mais c’est en proposant, au-delà de la dénonciation et des rappels du passé, un programme cohérent qui rassure les classes populaires pour l’avenir, qu’on viendra à bout du danger nationaliste.

Laurent Joffrin