Décroître ou mieux croître… telle est la question    

par Valérie Cohen |  publié le 03/04/2024

À l’heure où la notion de décroissance enflamme les discussions, il est bon de relire le « mode d’emploi » de l’économiste Laurent Eloi

Journal photographique du deuxième confinement. Banderole- Photographie Noemie Coissac / Hans Lucas

L’auteur est bien décidé à remettre en cause quelques tabous. Que dit-il :« Le PIB n’est pas seulement un outil technique, c’est un imaginaire encastré dans nos institutions. » Selon lui la croissance et le PIB ne rendent compte que d’une richesse superficielle, mais n’en sont pas la cause profonde. Il faut aller, explique-t-il, aux racines de la prospérité.

En 1944, le PIB mondial s’élève à 8 000 milliards $, à 100 000 au milieu des années 2000. À chaque seuil, les dégâts sur notre environnement explosent. Et la hausse continue du revenu national ne profite qu’à une part minuscule de la population. La croissance aux États-Unis, multipliée par trois entre 1993 et 2018 a été captée à 85 % par 10 % des plus riches. Aux États-Unis, la production de soins atteint 3000 milliards $, l’équivalent de toute l’économie française. Cette industrie alimente puissamment la croissance. Pourtant, la santé des Américains se dégrade. La corrélation croissance/bien-être est donc loin d’être évidente.

La croissance ne garantit pas une position géopolitique. Le PIB de la Russie est inférieur à celui de la France et le PIB de l’Europe est égal au PIB des États-Unis ou de la Chine. Pas plus qu’elle ne permet de financer la transition écologique. 

Comment faire ? D’abord, réduire à zéro les subventions aux énergies fossiles. Puis limiter le besoin de croissance supplémentaire en taxant le patrimoine, donc la croissance passée. L’épargne pourrait être orientée vers des politiques sociales écologiques ou des investissements publics sans besoin d’augmenter le revenu national pour les financer. Écologiquement, on peut instaurer une taxe carbone progressive sur le CO2 redistribuée de façon à ne pas impacter les plus modestes voire leur verser d’éventuels surplus.

La seconde piste pourrait consister par des économies sur les dépenses de « réparation ».

Le financement pourrait venir des moindres dépenses sociales dès lors que la santé, la productivité sont meilleures. L’État providence  corrige les inégalités, en augmente la productivité du travail par le développement de la santé et de l’éducation. Enfin la troisième proposition serait de bâtir une véritable protection socioécologique.

En résumé, il s’agit de supprimer des subventions aux énergies fossiles, d’instaurer des taxes sociales écologiques progressives, de financer des investissements de décarbonatation, d’économiser des dépenses sociales par la diminution des dégâts environnementaux.

En fait, il s’agit moins de décroissance que de trouver les moyens d’une croissance véritablement recentrée sur développement du bien-être plutôt que sur le toujours plus de biens.

« Sortir de la croissance. Mode d’emploi » , Éditions Les liens qui libèrent. 2021

 Éloi Laurent est économiste senior à l’OFCE, professeur à l’École du management et de l’innovation de Sciences Po et professeur invité à l’université Stanford.

Valérie Cohen

Ecologie-Environnement