Écologie : le « backlash »
La révolte agricole contre les contraintes écologiques va-t-elle contaminer d’autres secteurs ? Les déclarations des responsables de l’immobilier et de l’automobile font craindre le pire.
On l’a écrit hier à propos de la victoire de la FNSEA qui a soldé la crise agricole : l’écologie est la grande perdante du conflit, ce qui pose de redoutables questions aux défenseurs de la planète. Nous ajoutions : que se passera-t-il quand d’autres secteurs de l’économie seront touchés par le même vent de révolte ? Nous ne croyions pas si bien dire : deux nouvelles tombées hier confirment la tendance, qui peut conduite à ce que les Américains appellent un « backlash ». Ce qu’on peut traduire par un terrible retour de bâton, ou une vaste contre-offensive réactionnaire.
Dans le Figaro, on apprend que pour les acteurs du secteur de l’immobilier, « l’empilement de normes étouffe les constructeurs de logements neufs ». Exemple emblématique : l’obligation de prévoir dans chaque habitation collective un espace suffisant pour garer les vélos. Ajoutée aux autres réglementations environnementales, cette contrainte dissuaderait les constructeurs de construire et expliquerait en grande partie la baisse dramatique des mises en chantiers.
Le même jour, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, a fait part de ses doutes sur l’avenir de la voiture électrique, qui doit remplacer à terme une grande partie des véhicules thermiques avant 2030. Il a critiqué les « progressistes dogmatiques » qui sont, selon lui, à l’origine de cet objectif fixé par l’Union européennes et conseille aux électeurs de prendre garde « à leur liberté de déplacement » (sous-entendu : se méfier de la voiture électrique, réputée à tort incapable de franchir de longues distances). Il reprend ainsi les inquiétudes déjà formulées en Allemagne, notamment par les dirigeants de Porsche, qui estiment que l’échéance de 2030 fixée pour l’électrification des automobiles est bien trop rapprochée et qu’il convient de la repousser. Aux États-Unis, toujours à l’avant-garde des arrière-gardes, Donald Trump a fait de la lutte contre la voiture électrique un de ses thèmes favoris de campagne.
En une quinzaine de jours, voilà donc les principaux protagonistes de trois secteurs essentiels de l’économie nationale, l’agriculture, l’immobilier et la construction automobile, qui lèvent l’étendard de la révolte anti-écologique et entrent en guerre contre les contraintes « punitives » qu’on veut leur imposer. Ils font ainsi écho, sur le terrain, au discours politique désormais obsessionnel tenu par les conservateurs et les populistes dans la plupart des démocraties, non seulement contre les projets issus de la prise de conscience environnementale des gouvernements, exprimée dans les conférences mondiales sur le climat (les COP), mais aussi contre les orientations et les dispositions déjà en vigueur, qu’on pensait pourtant figurer parmi les acquis des nations de la planète.
Jusqu’ici, les écologistes – et les progressistes en général – se battaient pour que les États accélèrent la marche en avant vers un meilleur respect de la nature. Il faut craindre qu’ils doivent dans les années qui viennent, se battre, d’abord, pour que lesdits États n’enclenchent pas la marche arrière. Et bien sûr, si ce discours se répand, c’est parce ceux qui le tiennent en attendent des dividendes électoraux. D’où l’urgente nécessité d’engager un débat essentiel : comment rendre l’écologie populaire ? Il ne suffira pas, pour ce faire, de jeter des bols de soupe sur la Joconde.