Espagne : la remontada de Pedro Sanchez

par Denis McShane |  publié le 11/11/2023

Contrairement aux espoirs de la droite européenne, l’Espagne sera bientôt gouvernée par Pedro Sanchez. Avec le soutien des nationalistes catalans, dénonce l’opposition. Et alors ? Par Denis 

Dennis McShane- Photo AFP

On lit souvent dans la presse que l’Europe glisse inéluctablement vers la droite, tandis que les partis xénophobes, nationalistes et europhobes voués à la « guerre culturelle » accentuent cette dérive vers des positions dures et souvent racistes. Et c’est un fait que la politique européenne du 20e siècle, fondée sur de grands partis monolithiques de centre-droit ou de centre-gauche a pratiquement disparu.

Mais nous assistons surtout au développement d’une politique en forme de mosaïque, avec des électeurs mobiles, soutenant selon les cas divers partis de droite ou de gauche, ou adhérant à des causes ponctuelles comme celles des Verts ou des partis nationalistes de Catalogne, du Pays basque ou d’Écosse, sans s’y attacher pour autant. En Écosse, le parti nationaliste (SNP) est en perte de vitesse et en Suisse, les députés verts ont été rejetés lors des élections du mois dernier au parlement fédéral suisse. En Pologne, les électeurs ont récemment écarté du gouvernement le parti Droit et Justice, hostile à l’UE, aux femmes et assez homophobe. 

Dernier exemple de cette versatilité : les espoirs de la droite européenne de voir l’Espagne revenir à un régime conservateur s’estompent. Le Partido Popular (Parti populaire, PP) espérait déloger le gouvernement socialiste dirigé par Pedro Sanchez au début de l’année en s’appuyant sur un accord avec VOX, le parti d’une droite nostalgique du franquisme. C’en était trop pour les électeurs centristes modérés d’Espagne, qui ont refusé de donner une majorité au PP et à VOX en juillet.

Mais ils ont également refusé de donner une majorité à M. Sanchez, qui ne peut gouverner qu’avec le soutien de six députés catalans appartenant au parti indépendantiste catalan le plus radicalement sécessionniste de l’éventail des partis indépendantistes. Leur chef, Carlos Puigdemont a dirigé l’administration catalane en 2017. Il a alors annoncé que la Catalogne quitterait l’Espagne et a cherché à faire approuver sa décision par un référendum.


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Or, en vertu de la constitution espagnole, seuls le Parlement de Madrid et le gouvernement élu peuvent organiser un référendum pour dissoudre l’État. Cette proposition a été rejetée par les Cortes, où siègent les députés catalans. Puigdemont, démagogue à la Mélenchon, a suscité un mouvement de protestation qui s’est rapidement transformé en attaques contre la police, en arrestations et en condamnations à des peines de prison pour certains de ses partisans.

Il a traversé la frontière dans le coffre d’une voiture pour sauver sa peau, plutôt que de rester aux côtés de ses camarades qu’il avait entraînés dans une confrontation désastreuse et sans issue, rejetée par l’ensemble de l’échiquier politique au sud des Pyrénées. 

C’était à l’époque. Aujourd’hui, Pedro Sanchez a besoin des six députés de Puigdemont pour obtenir la majorité et être investi Premier ministre. La droite antisocialiste et sa presse le dénoncent pour avoir traité avec Puigdemont et affirment que toute amnistie pour les actes illégaux qu’il a encouragés en 2017 marquerait la fin de la démocratie constitutionnelle en Espagne.

Pourtant, comparées à l’amnistie que Tony Blair, avec le soutien de tous les députés britanniques, a accordée aux hommes qui avaient commis des meurtres et des actes de terrorisme pendant le conflit en Irlande du Nord, les propositions d’amnistie de Sanchez fait partie du commerce normal de la politique dans n’importe quelle démocratie. Il est difficile pour le PP et la droite espagnole d’insister sur le fait que les Catalans doivent respecter l’unité de l’Espagne et accepter la constitution espagnole, tout en refusant à six de leurs représentants, dûment élus, le droit de conclure des accords transparents avec un autre parti.

En discutant avec un large éventail de journalistes du gouvernement, du PP et de journalistes équilibrés en Espagne la semaine dernière, je n’ai trouvé personne qui pensait que Sanchez pourrait être arrêté par les bruyantes protestations du PP qui a manifesté devant le siège du parti PSOE à Madrid et devant les bureaux des députés socialistes.

Si, en 2024, le travailliste britannique Keir Starmer suit la trace de Pedro Sanchez en devenant le Premier ministre britannique, cela signifiera que neuf nations européennes seront dirigées par des gouvernements de gauche démocratique et que trois autres auront des vice-premiers ministres sociaux-démocrates. En un mot, l’idée que toute l’Europe se tourne brusquement vers la droite n’a pas de sens. Ce qui n’empêchera pas nos experts médiatiques de colporter cette idée fausse.

Denis McShane

Correspondant à Londres