Fabien Roussel : « Mon combat pour 2027 »
L’union de la gauche, la présidentielle, le communisme, le nucléaire, l’écologie, la mondialisation, les migrants, l’Ukraine… Dans un entretien exclusif avec LeJournal.info Dimanche, le secrétaire national du Parti communiste livre ses convictions. Sans concession.
Vous avez été comparé par les Insoumis à Jacques Doriot, le communiste des années 1930 passé au fascisme. Comment avez-vous réagi ?
Ce qu’ils ont fait est dangereux. Le discours qui alimente la haine à mon encontre peut conduire à des violences physiques. Il y a quelques jours, un local du parti a été vandalisé. Si on doit construire le rassemblement, il doit se faire dans le respect de nos différences, dans le débat d’idées. Moi, j’aspire au respect.
Union de la gauche : « J’invite Mélenchon à prendre un peu de hauteur »
J’aspire, par exemple, à ce que l’on puisse accepter d’avoir des listes différentes aux élections européennes et que ce ne soit pas vécu comme une rupture de contrat. J’invite Jean-Luc Mélenchon à prendre un peu de hauteur. Je lui tends la main. On ne tire pas sur quelqu’un qui tend la main.
Mais vos relations avec lui sont exécrables…
L’insulte ne doit pas avoir de place en politique, nulle part et jamais. Quand j’ai réagi vivement aux insultes dont j’ai fait l’objet, avec une Tribune signée de 3 000 élus de tous bords, c’est pour dire STOP. J’ai voulu frapper fort, parce que c’est aussi une manière de m’adresser aux miens, militants communistes. Sur les réseaux sociaux, ça fleurit de partout. Stop ! On ne fait pas de politique de cette manière-là !
Dans ces conditions, l’union est-elle encore possible ?
L’union de la gauche, nous l’avons vécue, nous l’avons construite dans les années 70. Nous la bâtissons aujourd’hui dans de nombreuses communes, dans des agglomérations, des départements, des régions. Nous avons, nous, une conception de l’union et du rassemblement qui repose sur le respect de chaque partenaire, sur le respect des différences. L’union ne veut pas dire assimilation. L’union ne veut pas dire l’hégémonie d’une force sur les autres. Il faut se respecter pour pouvoir avancer et grandir ensemble. Et c’est ce rassemblement là que je souhaite construire avec les autres forces de gauche, avec une grande ambition pour notre pays. Je souhaite que la gauche gagne.
« Pour les présidentielles de 2027, je souhaite que mes idées soient portées par le rassemblement à gauche »
Mais à l’élection présidentielle de 2027, avec Jean-Luc Mélenchon, vous serez concurrents…
C’est le projet qui déterminera nos choix en 2027. Je défends mes idées, puis on verra bien. Ce que je souhaite, c’est que ces idées-là soient portées par le collectif le plus large possible, le rassemblement à gauche. Et si Jean-Luc Mélenchon ne les partage pas, il présentera les siennes aux Français. Je suis respectueux du débat. Il y a deux tours à une élection. Au premier tour, les Français s’expriment sur les idées dont ils se sentent le plus proche et au second tour, ils se rassemblent sur celui qui reste.
Vous êtes à gauche la personnalité préférée des Français. Comment l’expliquez-vous ?
D’abord cela me donne de la responsabilité et cela me conforte dans les choix que nous avons faits, avec un collectif, d’exprimer des idées fortes, de rappeler certaines valeurs que la gauche doit porter, des idées que la France doit défendre. Cette notoriété est liée à des prises de position que j’ai eues sur un certain nombre de sujets, sur le sens du travail, sur l’énergie nucléaire, sur la sécurité de nos concitoyens, sur la souveraineté alimentaire, sur la laïcité, l’universalisme de la République que je défends, et j’en oublie certainement. Les prises de position que j’ai eues ont fait l’objet de débats à gauche et en France. Tant mieux. C’est ce qui m’a fait connaître.
Quelles sont vos différences avec les autres forces de la gauche ?
Moi, je pars de la réalité de mon pays, du vécu des gens, des Français, que je rencontre dans toute la France, ici, dans l’Hexagone comme en Outre-mer. Je pars à chaque fois de la réalité d’une entreprise, de la vie d’un salarié, d’un ouvrier, d’une retraitée, d’une association… Et de là, je lève la loupe et je montre que c’est un sujet national. Ma gauche, elle est ancrée dans les réalités d’aujourd’hui.
Qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui, être communiste ?
C’est de toujours penser à l’être humain d’abord. Cela reste notre fondement. C’est mettre l’humain au cœur de tous les choix de la société. Penser à l’être humain et à son bonheur.
Cela veut dire adhérer à une Internationale ? Se sentir proche de la Chine, du Vietnam ou de la Corée du Nord ?
Pas du tout. Nous avons une histoire qui nous est propre, liée à celle de la France. Le Parti communiste français – j’insiste sur « français » – a des racines profondes. Elles remontent au lendemain de la première guerre mondiale. Puis l’identité du parti a été façonnée par les grands mouvements et les grandes conquêtes sociales de 1936, ensuite par la Résistance et la reconstruction de la France en 1945. Enfin par les combats internationalistes que nous avons menés et qui nous honorent, que ce soit pour l’indépendance du Vietnam, de l’Algérie contre le Chili de Pinochet, contre l’apartheid. Nous avons été de tous les combats anticoloniaux.
Vous citez là les combats de la gauche en général…
Pas toujours… Quand j’ai lutté contre l’apartheid, le Premier ministre était Laurent Fabius et le Président, François Mitterrand. C’était en 1986 et la France vendait des armes à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Nous sommes, nous, cohérents dans notre histoire. Quand on vient me parler de notre passé, que chacun regarde aussi ses comptes.
« Nous avons des frontières passoires pour l’argent »
Vous êtes pour la chasse, le nucléaire et la consommation de viande, vous y allez fort…
Chaque jour, deux agriculteurs se suicident. Nous avons des familles en souffrance qui ne peuvent plus vivre de leur production, de leur travail, alors que ce sont elles qui nous nourrissent. On a besoin de retrouver notre souveraineté alimentaire, notamment pour des questions écologiques et climatiques, c’est-à-dire en mettant fin à des accords de libre-échange, pour arrêter d’importer ce que nous pouvons produire en France. Et c’est pour ça que je défends toutes les filières agricoles.
On importe aujourd’hui 11,7 % de nos bovins d’Argentine et du Brésil. On ne sait même pas comment ils ont été nourris et par quoi ils ont été piqués. Mon projet, c’est que tout le monde puisse manger sain et à sa faim. Il y a 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté qui ne mangent pas les cinq fruits et légumes par jour, ni aucune viande de la semaine. Chacun doit pouvoir manger de la viande deux à trois fois par semaine.
Vous aimez provoquer. Par exemple quand vous parlez de frontières passoires…
Certains affirment que la gauche est contre les frontières. C’est faux. Un pays se détermine avec des frontières qui permettent de contrôler son économie, la circulation des biens et des personnes, de lutter contre l’évasion fiscale, par exemple. Nous avons des frontières passoires pour l’argent, des frontières passoires pour les marchandises et des frontières fermées pour les gens. La Méditerranée devient un cimetière. J’assume ce que je dis, je maintiens, je le redis et je continuerai de le dire.
La Méditerranée est un cimetière, c’est aussi ce qu’a dit le Pape
Bien sûr. Je soutiens le Pape sur cette question-là. Je l’ai d’ailleurs dit avant qu’il ne vienne. J’ai toujours lu avec attention ses prises de position sur l’accueil, l’hospitalité, la nécessité de tendre la main à ceux qui quittent leur foyer pour cause de guerre, de persécution, de catastrophe. On ne quitte jamais son domicile par plaisir. Il a un discours de fraternité que je partage, que je tiens moi aussi, et les Chefs d’état de l’Union européenne devraient s’en imprégner.
« La gauche est devenue capitaliste »
Votre gauche est celle du travail, pas des allocations ?
Je vais vous donner deux exemples quand je dis que je préfère la France du travail à celles des allocations. Je sais que ça fait mal aux oreilles de gauche mais quand la gauche était au gouvernement, elle a accompagné la désindustrialisation de la France, elle a créé un chômage de masse comme la droite, sans différence. Et elle a accompagné ce chômage de masse par une politique d’accompagnement social. Elle s’est inscrite dans un mouvement capitaliste de l’économie. On privilégie les profits, on crée du chômage et l’État accompagne le chômage. Je veux retrouver une gauche qui défend le travail pour tous, la dignité au travail. Qui permette à chacun d’avoir une sécurité professionnelle.
Vous vouliez envahir les préfectures pour le pouvoir d’achat. Mais ce sont les entreprises qui augmentent les salaires, pas l’État ? Que fait la CGT ?
Non, je ne suis pas d’accord. Aujourd’hui, il y a 100 branches professionnelles comme le nettoyage où le salaire minimum est en dessous du SMIC. C’est une anomalie. On demande que le gouvernement agisse par la loi parce que les patrons refusent de s’aligner. La Première ministre m’a annoncé que le gouvernement envisage de régler ce problème par la loi. Ça fait aussi des années que nous disons que les allègements de cotisation sur le SMIC et jusqu’à une fois et demi le SMIC sont des trappes à bas salaires. Ce sujet est à l’ordre du jour de la conférence sociale. Enfin, quand il y a une inflation de 7 %, oui, il faut indexer les salaires sur l’inflation comme ça existe en Belgique.
Mais c’est la gauche, qui a désindexé les salaires de l’inflation…
Justement. Nous sommes pour la gauche qui a gouverné de 1980 à 1983 et pas celle du « tournant de la rigueur » qui a désespéré la gauche et fait partir les ministres communistes du gouvernement.
La désindexation, c’est plutôt la libéralisation de l’économie que la rigueur…
Il y a eu la gauche qui a nationalisé, quand l’État pouvait bloquer les prix, indexer les salaires sur l’inflation. Et puis il y a eu 1983 avec la gauche qui a libéralisé l’économie, la gauche qui est devenue capitaliste et qui a vendu notre économie au marché. Aujourd’hui, je me bats pour une gauche qui redonne du sens au rôle de l’État, qui doit jouer pleinement son rôle dans l’économie. Une gauche qui bloque les prix et qui fait en sorte que le travail paye. Qui met fin à la gabegie des dividendes, à cet argent qui coule à flot pour une minorité et qui fait que les ouvriers ne voient rien tomber dans leurs poches. Je pense qu’une grande partie de la gauche aujourd’hui a admis les erreurs commises par la gauche quand elle était au pouvoir, depuis 1983 jusque y compris sous François Hollande.
Il n’y avait guère de choix avec la mondialisation ?
On a du courage politique ou bien on baisse son froc et on capitule. Je ne suis pas un capitulard.
« Il nous faut quatorze réacteurs nucléaires de plus »
Et l’énergie ?
C’est l’autre sujet emblématique. La gauche comme la droite a libéralisé le marché de l’énergie. Nous avons vendu notre souveraineté énergétique à l’Allemagne, à l’Europe. Nous sommes devenus dépendants en matière de tarification, soumis aux lois du marché. Je souhaite retrouver une gauche qui affirme le principe de notre souveraineté énergétique et de notre indépendance nationale en la matière. Pour retrouver un avantage compétitif pour nos entreprises grâce au nucléaire et pour baisser la facture d’électricité des ménages.
Comment réussir à infléchir la position des Allemands et celle de l’Europe sur les tarifs de l’énergie ?
C’est une question de courage et de volonté politique. Ça passe par notre relation avec l’Allemagne. Au propre et au figuré, je regrette qu’il y ait autant d’électricité dans l’air entre la France et l’Allemagne. Il n’y a plus que la France qui parle franco-allemand. L’Allemagne a décidé de se détacher de cette relation et de jouer son propre jeu, c’est un constat que tout le monde fait. Ceci, depuis la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire et d’imposer à la France un tarif européen de l’électricité pour que la France ne bénéficie pas de son avantage compétitif avec son nucléaire. C’est grave ! Ils nous l’ont demandé et la France a accepté. Sous Sarkozy, puis sous Hollande et aujourd’hui sous Macron. Or nous avons une force, une capacité de production d’électricité qui est énorme. Nous produisons suffisamment d’électricité pour répondre à nos besoins et même pour en exporter. Nous avons la possibilité de dire que c’est nous qui fixons nos propres tarifs. Nous devons sortir du marché spéculatif européen. Sans pour autant sortir des traités européens, c’est faisable. L’Espagne et le Portugal ont eu le droit à cette dérogation. La France doit faire ce choix-là. C’est le combat que nous menons, et là-dessus, je ne lâcherai pas.
Vous êtes plus que jamais pronucléaire…
Je ne lâcherai pas non plus sur la nécessité d’avoir des investissements forts dans la production d’électricité nucléaire. Il nous faut au moins quatorze réacteurs supplémentaires à construire dans les centrales existantes pour pouvoir répondre aux pics de consommation liés à l’usage de l’électricité qui va grandir et au fait que nous devons sortir des énergies fossiles d’ici 2050.
Cette position est en contradiction totale avec celle des écologistes…
Ce sujet-là devra être à l’ordre du jour d’un programme de gauche. Ce sont les débats que nous devons avoir entre nous. Mais moi je demande aux Français de l’exprimer et de trancher ce débat. Je suis soucieux que nous puissions présenter notre projet au Français, que ce soit aux élections européennes ou à l’élection présidentielle.
Vous envisageriez une majorité de gauche sans les écologistes ?
Non. Je veux travailler sur un projet capable de l’emporter et qui suscite l’adhésion d’une majorité de Français. Ce projet doit être partagé par le plus de forces de gauche possible. Je sais que, sur cette question de l’énergie, les mentalités évoluent et je ne désespère pas de convaincre.
« Il faut un socialisme à la française »
Après la souveraineté énergétique et la souveraineté alimentaire, voici la souveraineté économique ?
Non, il faut remettre au goût du jour un socialisme à la française, qui part du réel, de la situation d’aujourd’hui et qui se donne le temps de reconstruire une économie au service du monde du travail, au service de la nation, et dans laquelle l’État joue pleinement son rôle. Qu’il revienne dans la partie après tant d’années de recul et de libéralisme engagé par la gauche en 1983.
C’est assez proche du programme de l’extrême-droite pour reconquérir les classes populaires perdues par la gauche ?
Notre projet économique n’a rien à voir avec celui de l’extrême droite. Concernant les salaires, ma proposition, c’est de défendre un SMIC à 2 000 € bruts et l’indexation des salaires sur l’inflation ou sur la hausse du SMIC. Ce que Marine le Pen propose, elle, c’est de supprimer les cotisations sociales pour pouvoir augmenter les salaires. Elle parle suppression de la sécurité sociale. C’est grave. Elle porte atteinte à notre système de protection sociale. Il y a deux visions. Celle de la droite et l’extrême droite qui disent : il faut baisser les cotisations sociales pour augmenter les salaires et continuer à donner des aides aux Français, c’est la prime d’activité, c’est des allocations. Je gueule contre cela car ce sont nos impôts, 10 milliards d’euros par an. Ça, c’est la vision libérale. Et puis il y a la gauche, nous, qui disons : il faut augmenter les salaires et conserver les cotisations. Les entreprises doivent prendre toute leur part. Les exonérations de cotisation coûtent 75 milliards d’euros par an à l’État. Je veux que des groupes comme Total, LVMH, Danone, BNP, tous ces grands groupes qui gagnent beaucoup d’argent, payent des cotisations. Ils versent des dividendes, ils payent des cotisations. Une entreprise qui gagne de l’argent a les moyens de payer.
Elles ne peuvent pas toutes payer…
Je suis pour un système d’accompagnement des entreprises pour leur donner de nouvelles marges financières leur permettant de payer ces cotisations. Et là, il y a du gras. Je pense à la facture énergétique ou à celle des assurances que nous pouvons baisser. Je suis pour des prêts à taux zéro pour les entreprises, voire des taux négatifs. Et même, y compris mettre en place un fonds d’aide pour accompagner les entreprises qui rencontreraient des difficultés. Je préfère aider les entreprises qui en ont besoin plutôt que donner de l’argent à celles qui n’en ont pas besoin.
«Il faut des armes pour l’Ukraine, mais cela prend un tour dangereux »
La France doit-elle rester dans l’OTAN ?
Elle doit retrouver une politique indépendante et non alignée et, dans un premier temps, elle devrait juste sortir du commandement intégré, ce qu’elle avait fait jusqu’en 2008 à l’initiative du général de Gaulle avant que Sarkozy nous la fasse réintégrer.
La France est l’un des tout premiers exportateurs d’armes dans le monde…
Si le monde est une poudrière, c’est parce que les dépenses militaires globales ont été multipliées par deux entre 2001 et 2022. Elles étaient de 1 140 milliards de dollars en 2001, elles ont atteint 2 240 milliards en 2022. On peut appeler tous les jours à un monde de paix. On peut faire comme le président de la République des grands discours sur la paix. Mais si, parallèlement, chacun vend des armes à tout le monde, c’est une manière d’alimenter les guerres. Et il y a une course honteuse en Europe entre l’Allemagne, la France et la Pologne pour savoir lequel des trois sera la première nation militaire de l’Union européenne.
Il fallait donner des armes aux Ukrainiens ?
Oui, nous avons dit, nous, que cette violation du territoire ukrainien était inadmissible. Elle devait être combattue et il fallait apporter un soutien à l’Ukraine afin qu’elle puisse assurer sa propre défense, tout en prenant garde à ne pas devenir co-belligérant. Il faut des armes, mais ça prend un tour dangereux.
La France doit être une puissance militaire ?
Nos armées ont souffert ces dernières années par manque d’investissement. Mais entre d’un côté défendre son armée et faire en sorte que nous ayons les moyens de nous défendre et, de l’autre, être surarmé, notamment avec un porte-avion de nouvelle génération, je suis contre. Et vendre des armes à des pays en guerre comme l’Arabie Saoudite contre le Yémen, je suis contre. Je défends l’investissement dans l’armement et la modernisation de nos armées. Mais je préfère qu’on investisse dans la production de navettes et de navires de croisière pour protéger nos territoires d’outre-mer, plutôt que dans un porte-avion qui coûte excessivement cher et qui va servir surtout à l’OTAN dans ses menées guerrières.
Entretien réalisé par Valérie Lecasble