Gaza : ignorer les civils ?

par Laurent Joffrin |  publié le 10/10/2023

La riposte de l’armée israélienne est inévitable et légitime. Mais comme à chaque fois, le sort des populations civiles est un enjeu moral et politique.

Laurent Joffrin

Qui ne comprend l’état de rage qui étreint la société israélienne au spectacle des monstruosités commises par les terroristes du Hamas ? Enfant tués, vieillards brutalisés ou assassinés, population des villes à portée décimée à la kalachnikov, jeunesse massacrée, otages humiliés et terrorisés qu’on détient à fond de cave, sordides et inhumaines manifestations de joie des islamistes devant le massacre de ces innocents : l’insupportable est devenu la règle dans cette vaste opération de terreur minutieusement préparée et impitoyablement exécutée, dont la cruelle ampleur apparaît un peu plus chaque jour.

Qui ne comprend l’obligation morale et stratégique faite au gouvernement israélien de trouver une riposte à la mesure de l’agression ? Elle s’imposerait à tout gouvernement placé devant un tel défi, dans n’importe quel pays. La réplique militaire est inévitable, nécessaire et – disons-le sans ambages – juste. Mais là aussi, au-delà de l’élémentaire émotion, de la légitime demande de revanche, et comme dans toute opération militaire, se pose la question civile.

La déclaration du ministre israélien de la Défense n’est pas digne d’un dirigeant démocratique

« J’ai ordonné un siège complet de Gaza, a annoncé, lundi 9 octobre, Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense. Nous combattons les animaux humains et agissons en conséquence ». Et de préciser que l’eau, le gaz et l’électricité seront dorénavant coupés pour la population de l’enclave, l’une des plus denses et des plus pauvres du monde. Que dire de cette déclaration, sinon qu’elle correspond à l’état de l’opinion israélienne, mais qu’elle n’est pas digne d’un dirigeant démocratique ? Israël veut détruire le Hamas : objectif logique et légitime, qui suppose l’usage de la force la plus grande et, malheureusement et nécessairement, des « pertes collatérales », selon l’euphémisme habituel. Mais la punition indistincte de toute une population ainsi décrétée, son pilonnage par une série de bombardements meurtriers aux effets dévastateurs autour des cibles visées, correspondent-ils à l’objectif revendiqué ? On en doute.

Dans cette guerre, Israël agressé a suscité la solidarité de la plupart des démocraties. Soutien cohérent : face à la barbarie du Hamas, et en dépit de toutes ses imperfections, Israël reste une démocratie. Le soulèvement d’une grande partie de la société contre les projets du gouvernement en matière judiciaire en témoigne. En combattant le Hamas, l’armée israélienne combat aussi pour des valeurs communes, pour un camp démocratique désormais affaibli, menacé à l’échelle mondiale par la montée en puissance des dictatures islamistes et l’agressivité des empires autoritaires. Mais en démocratie, la distinction entre les civils et les combattants, que le Hamas a délibérément abolie, reste un principe essentiel. Il est violé, y compris parfois par ceux qui le mettent en avant ? Certes, mais il demeure.

La distinction entre civils et combattants doit entrer en ligne de compte dans la riposte

Aussi, dans les options de riposte qui s’offrent au gouvernement Netanyahou, ce critère doit aussi entrer en ligne de compte. On dira qu’on écrit de loin, qu’il est facile, en France, d’édicter des règles morales abstraites sans connaître le malheur des assassinats. Objections à moitié pertinente : à une moindre échelle, les Français ont, eux aussi, vécu l’horreur terroriste. Et, en tout état de cause, le précepte reste valable : l’attaque délibérée contre les civils, dans le monde démocratique, affaiblit la cause qu’on défend. Du coup, l’objectif reste pertinent : détruire le Hamas, mais limiter les pertes civiles dans la population palestinienne. Un idéal facile à énoncer et difficile à appliquer ? Certes. Mais ce sont aussi les idéaux qui assurent la cohésion d’une société.

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Laurent Joffrin