Immigration: débat sous très haute tension

par Valérie Lecasble |  publié le 29/05/2023

La réforme sur l’immigration promet d’empoisonner la politique française jusqu’à la fin de l’année.

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Immigration contre constitution

Frontiere Franco-espagnole - Photo ANDER GILLENEA / AFP

Longtemps tabou, le débat sur l’immigration déchaîne les passions et cristallise les oppositions. Après celui sur les retraites, le sujet risque de déchirer la société française. S’il n’a pas une incidence immédiate comme l’âge légal à 64 ans, il porte en lui tous les stigmates des fractures de notre pays.
Il est depuis des lustres, le fer de lance du Rassemblement national dans son ascension vers le pouvoir. Il divise, fracture, radicalise.

À l’extrême gauche, on défend l’immigration à n’importe quel prix ; à l’extrême droite, on l’accuse de tous nos maux.
Au milieu, la recherche d’un improbable consensus est devenue impossible à escamoter depuis que, (sondage Ifop-JDD), 69 % des Français se disent préoccupés par l’immigration. Ils sont désormais, (sondage Elabe-BFMTV ), 85 % à réclamer qu’on expulse les étrangers – double-peine – quand ils sont condamnés pour crimes et délits.

Comment y parvenir ? C’est l’un des objectifs du projet de loi de Gérald Darmanin en deux volets : l’un, sécuritaire, qui veut faciliter les obligations de quitter le territoire français (OQTF) en réduisant la possibilité de recours ; l’autre, social, qui propose une régularisation sous forme de titre de séjour aux sans-papiers dans les métiers en tension (hôtellerie, tourisme, BTP ..). Deux piliers pour une réforme dite équilibrée, entre droite et gauche.

Après moult volte-face, Emmanuel Macron s’est convaincu qu’on ne pouvait plus reculer. Le temps n’est plus à la dérobade comme lors du premier quinquennat. Puisque les Français la réclament, une loi sur l’immigration est, croit-il, la seule façon de bloquer Marine Le Pen et la progression du RN.
Après le fiasco des retraites, c’est aussi le moyen de constituer une majorité avec LR. Gérald Darmanin, un ancien LR, est tout désigné pour faire passer la réforme. À tout prix.`

Le trio de Républicains, que forme Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix, juge pourtant depuis le départ son projet trop laxiste, car ouvrant la porte à de nouvelles entrées sur notre territoire. Dans son combat, il fait des contre-propositions provocantes, proches du RN, par exemple quand il veut restreindre le regroupement familial ou supprimer l’aide médicale d’État.

Il va jusqu’à exiger que les demandes d’asile soient initiées hors de France. Ce qui introduirait le contrôle, dès le pays de départ du candidat à l’asile, et non plus dans le pays d’accueil qui peine ensuite à l’expulser. Cette mesure — une sorte d’OQTF généralisée — nécessiterait que la Constitution française déroge aux règles européennes. Rien de moins qu’un Frexit !

Dans le journal Le Parisien Dimanche, Gérald Darmanin contre-attaque mais sans fermer la porte : oui à des visas sous conditions et à la possibilité d’instaurer des quotas annuels d’immigrés ; non à toute révision de la Constitution et à toute dérogation aux règles européennes. Il choisit dans la foulée son interlocuteur pour négocier, Gérard Larcher, le président du Sénat, qui en a l’autorité et avait soutenu le gouvernement lors de la réforme des retraites.

Élisabeth Borne, ex-socialiste, se cabre, elle, et met publiquement en garde contre une banalisation des idées du Rassemblement national de Marine Le Pen, un Scud envoyé contre le débat sur l’immigration. Le soutien immédiat qu’elle a reçu de Clément Beaune, réputé très proche d’Emmanuel Macron, sonne comme une mise en garde de toute l’aile gauche de la Macronie. Entre Darmanin qui lorgne sur Matignon et Borne qui ferraille pour s’y maintenir, la guerre est officiellement déclarée.

Qui des deux remportera la bataille ? La question est de savoir où se placera le curseur. Jusqu’où le projet de loi sur l’immigration qui se voulait équilibré va-t-il dériver à droite sous les coups de boutoir de la tendance Ciotti. Au risque que la majorité présidentielle perde son aile gauche.

Hormis le Frexit, la sortie de la France de l’Europe, Gérald Darmanin n’a fermé aucune porte. Tout est ouvert, y compris un passage en force avec le 49-3 ou, à contrario, un appel à l’opinion avec un référendum.
Le débat, hautement inflammable, ne fait que commencer…

Valérie Lecasble

Editorialiste politique