Jordan Bardella : la peur de gagner

par Valérie Lecasble |  publié le 21/06/2024

Sans troupes expérimentées, ni formation personnelle solide, le leader du RN, aux portes de Matignon, s’inquiète : comment pourra-t-il gouverner la France ?

Le président du parti d'extrême droite français Rassemblement national (RN) Jordan Bardella à TF1 le 20 juin 2024- Photo Ludovic MARIN / AFP

« 300 députés du Rassemblement national à l’Assemblée, Jordan Bardella Premier ministre, Thierry Mariani ministre des Affaires étrangères, Marion Maréchal à l’Éducation nationale, Eric Ciotti à l’Intérieur » : voici comment Raphaël Glucksmann qualifie, dans une tribune au Monde, les portes de l’Enfer qu’a ouvertes Emmanuel Macron avec la dissolution et la perspective d’une prise de pouvoir par l’extrême-droite.


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L’Enfer ? Avec la façon dont il ne cesse de ripoliner le programme du Rassemblement national s’il devait être nommé Premier ministre, Jordan Bardella en viendrait presque à nous faire douter. La suppression du droit du sol s’avère compliquée ; l’abrogation de la réforme des retraites n’est pas pour tout de suite et la retraite à 60 ans seulement pour les carrières longues ; la suppression de la TVA touchera les prix de l’énergie, pas ceux des aliments de première nécessité… Depuis quelques jours, la liste des renoncements auxquels a procédé le leader du RN pour tenter de rassurer les électeurs et les convaincre de voter pour lui s’allonge.

Situation ingérable

La réalité, c’est qu’aux portes de Matignon, Jordan Bardella paraît pris d’un immense vertige. D’abord, le programme initial du RN date de 2022, quand la France allait mieux, était moins endettée et avait moins de déficits. Il sait qu’aujourd’hui, avec 3 000 milliards de dettes, un déficit budgétaire de 5,5 % et des marchés financiers sous pression, il ne peut mettre le feu, sous peine de voir l’économie française s’effondrer. Ensuite, la situation peut se révéler ingérable. « Il faudra la majorité absolue », assène-t-il, tant il anticipe déjà la difficulté à faire passer des réformes à l’Assemblée nationale. En cohabitation, avec un Président hostile et incontrôlable, comment résister si un arc républicain se constituait contre lui ?

Enfin, lui-même n’est pas prêt. À peine élu député européen, le voilà propulsé à 28 ans dans la lessiveuse du pouvoir. Il n’a pas de formation solide, ayant préféré s’engager très jeune. Son parcours se réduit au Rassemblement national et au Conseil régional d’Île-de-France. Il n’a pas brillé au Parlement européen par ses propositions, inexistantes, et son duel avec Gabriel Attal a montré qu’il connaissait mal ses dossiers.


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Faut-il préciser qu’il n’a pas de troupes plus expérimentées que lui ? Certes, on a vu des juristes et des experts rejoindre le RN pour donner un coup de mains sur les questions régaliennes. Certes, ils ont su dégoter la niche fiscale dont bénéficient les armateurs et qu’ils veulent supprimer pour récupérer 5 milliards d’euros… et aussi pour viser Rodolphe Saadé, patron de CMA-CGM et ami personnel d’Emmanuel Macron, qui vient de racheter BFMTV. Certes, Éric Ciotti peut se revendiquer du soutien et de l’expertise d’un Vincent Bolloré et sans doute d’autres patrons moins connus. Mais tout cela ne fait pas un gouvernement. C’est à cela que songe Jordan Bardella, si proche du pouvoir. D’autant qu’à l’issue de leur procès pour emplois fictifs le 30 septembre, 28 membres du RN pourraient être condamnés voire déclarés inéligibles. Lui se retrouverait alors, encore plus seul qu’aujourd’hui.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique