Kennedy : quel complot ? « L’homme qui a tiré » (2)
Soixante après, le public est toujours persuadé que l’assassinat de John Kennedy est le résultat d’une ténébreuse machination. Est-ce si sûr ? Deuxième partie : le mystère Oswald
Il est avéré que trois coups de feu ont été tirés le 22 novembre à l’arrière du cortège progressant dans Elm Street, du cinquième étage du Texas School Book Depository (un dépôt de livres) où travaillait Lee Harvey Oswald. Deux témoins placés juste au-dessous, au quatrième étage, les ont entendus, ainsi que de nombreux spectateurs massés sur les trottoirs. L’agent Baker, un policier de Dallas, sûr que les tirs venaient de là, s’est précipité à l’intérieur du dépôt et a commencé à monter les escaliers, accompagné du directeur Roy Truly.
Au premier étage, Baker tombe sur Oswald devant un distributeur de boissons. Truly lui dit que le jeune homme est un employé : le policier le laisse partir. Plus tard, Arlen Specter, enquêteur de la commission Warren, démontrera en refaisant le trajet lui-même, qu’Oswald avait le temps de descendre du cinquième au premier entre les coups de feu et la rencontre avec Baker.
Quelques instants plus tard, Oswald quitte son travail sans raison apparente, monte dans un bus puis dans un taxi, passe chez lui, prend son pistolet et s’en va à pied. Un signalement a été diffusé par la police. L’agent Tippit le croise un peu plus loin. Il veut l’interpeller. Oswald l’abat de quatre balles et s’enfuit. Repéré, il est arrêté dans un cinéma, au terme d’une violente bagarre qui lui laisse un œil au beurre noir. Peu après, plusieurs témoins fiables (ils étaient à quelques mètres) l’identifient comme étant l’assassin de l’agent Tippit.
Le fusil est un Mannlicher-Carcano, vieux modèle efficace, longtemps utilisé par l’armée italienne
Entretemps, le capitaine Will Fritz fouille le dépôt de livres avec ses hommes. Il trouve un fusil à lunette dissimulé dans la salle du cinquième étage et trois douilles près de la fenêtre qui domine Elm Street, dans un abri de fortune fait de livres entassés. Le fusil est un Mannlicher-Carcano, vieux modèle efficace, longtemps utilisé par l’armée italienne. Il a été acheté par correspondance par un certain Alek James Hidell. On trouve dans le portefeuille d’Oswald une fausse carte d’identité à ce nom-là. On découvre qu’une boîte postale a été ouverte à ce même nom par Oswald.
On constate aussi que personne ne l’a vu pendant les tirs, qu’il a dit qu’il déjeunait avec ses collègues alors qu’ils démentent tous, que ses empreintes figurent sur le fusil et sur un carton de livres et qu’il a des traces de poudre sur les mains. On trouve chez lui une photo où il pose avec son fusil et son pistolet, photo dont sa femme, Marina Oswald, dira qu’elle l’a prise elle-même, et dont les experts attesteront qu’elle est authentique.
Un voisin, Buell Frazier, a accompagné Oswald à son travail. Il l’a vu trimballer un paquet long et étroit – « des tringles à rideau », a dit le jeune homme. Enfin, Howard Brennan, un témoin situé à 35 mètres du dépôt de livres, a formellement identifié Oswald comme le tireur du cinquième étage.
Cet ancien marine, instable et violent, entraîné au tir, déjà auteur d’une tentative d’assassinat sur le général Walker quelques semaines plus tôt…
Dès lors, il faut convoquer des théories d’un byzantinisme extraordinaire pour nier le faisceau de charges qui pèsent sur Oswald et ne pas reconnaître que cet ancien marine, instable et violent, entraîné au tir, déjà auteur d’une tentative d’assassinat sur le général Walker quelques semaines plus tôt, dont sa femme Marina dira qu’il était à la recherche d’un rôle historique, a bien tiré trois coups de feu du cinquième étage du dépôt de livres au passage du cortège présidentiel.
Et donc qu’il n’est pas le « pigeon » qu’Oliver Stone décrit dans son film « JFK », dont tous les historiens sérieux disent qu’il n’est qu’un assemblage des théories du complot présentes sur le marché.
Oswald était-il le seul tireur ? C’est là que les détracteurs de la version officielle avancent les arguments les plus forts. Mais gardons la même méthode et commençons par les faits avérés avant d’examiner les théories. En premier lieu, la grande majorité des témoins de Dealey Plaza ont situé l’origine des tirs dans le dépôt de livres. Une minorité d’entre eux a dit qu’ils provenaient d’un « monticule herbeux » situé sur la droite du cortège. Mais des essais ont démontré que les façades de Dealey Plaza renvoient un écho qui pouvaient induire certains témoins en erreur.
La première balle est entrée à la base de la nuque pour ressortir au niveau du nœud de cravate. La deuxième a fait exploser le crâne de Kennedy.
Plus important : sur la base d’une étude minutieuse des blessures infligées à Kennedy, les rapports d’autopsie ont conclu que les deux balles venaient de l’arrière. La première est entrée à la base de la nuque pour ressortir au niveau du nœud de cravate. La deuxième a fait exploser le crâne de Kennedy. Selon les médecins, celle-ci ne pouvait venir de l’avant : tirée de la droite, entrée par le front en suivant une trajectoire oblique, elle aurait endommagé la partie arrière gauche du cerveau. Or cette partie est restée intacte.
Au contraire, seul un tir venu de l’arrière explique les blessures constatées : une entrée par la partie postérieure du crâne avec une blessure nette, une explosion de la partie droite du front à la sortie, qui correspond à l’angle que faisait le fusil d’Oswald avec la tête de Kennedy. L’expertise a été effectuée à plusieurs reprises au cours des décennies par des équipes indépendantes les unes des autres.
Oswald a manqué son premier tir, il a blessé Kennedy avec la deuxième balle et l’a achevé avec la troisième.
Là encore, il faut une imagination romanesque pour supposer que le corps de Kennedy a été remplacé par un autre entre Dallas et Washington (c’est une des idées des théoriciens du complot) ou pour impliquer tous ces médecins dans une conspiration tentaculaire s’étendant sur des décennies, qui les aurait conduits à truquer les rapports sur ordre (un ordre venu des présidents successifs, tous membres du complot ?)
Dans n’importe quelle enquête, les éléments avérés auraient conduit à une conclusion simple : Oswald a manqué son premier tir, il a blessé Kennedy avec la deuxième balle et l’a achevé avec la troisième. Mais plusieurs étrangetés ont compliqué l’affaire.
Lire tous les articles de la série sur leJournal.info :
1 : Kennedy : quel complot ? « L’exécution »
2 : Kennedy : quel complot ? « L’homme qui a tiré »
3 : Kennedy : quel complot ? « Le monticule herbeux »
4 : Kennedy : quel complot ? « La balle magique »
5 : Kennedy : quel complot ? : « Mystère dans le mystère »
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