Kennedy – Quel complot ? « Mystère dans le mystère » (Fin)
Soixante après, le public est toujours persuadé que l’assassinat de John Kennedy est le résultat d’une ténébreuse machination. Est-ce si sûr ? Cinquième partie : Jack Ruby, l’assassin de l’assassin
Reste le mystère des mystères : l’assassinat d’Oswald par Ruby. Jacob Rubinstein, qui avait changé son nom en Jack Ruby, était un tenancier de boîte de nuit, naviguant dans un milieu louche et néanmoins proche de certains policiers de Dallas. On l’a dit lié à la mafia de Chicago, mais aucune preuve n’est venue étayer cette connexion. Instable, parfois violent, Ruby avait déclaré à des proches que l’assassinat du président l’avait gravement perturbé. Paranoïaque, il pensait qu’un complot menaçait la communauté juive dont la famille Kennedy était le rempart.
Il avait suivi les premiers pas de l’enquête et assisté à une conférence de presse de la police. On a affirmé qu’il avait tué Oswald sur ordre pour l’empêcher de parler. Mais – premier fait établi – le dimanche matin, le transfert d’Oswald est annoncé à 10 heures. A cette heure, deuxième fait établi, Ruby est chez lui. Il se rend ensuite en ville pour envoyer un mandat à l’une de ses employées qui a besoin d’argent, ce qu’il fait – troisième fait avéré. Quand Ruby arrive, Oswald aurait dû être sorti depuis longtemps et ne jamais croiser sa route. Mais l’interrogatoire s’est prolongé : Oswald a plus d’une heure de retard.
Attiré par une petite foule massée là, Ruby entre dans le garage où doit avoir lieu le transfert. Il voit Oswald, sort son revolver et le tue. Si Ruby avait préparé son coup, il serait évidemment arrivé avant 10 heures, pour être sûr de ne pas manquer Oswald. Sa présence est le fruit d’un concours de circonstances. Nulle trace de complot. Arrêté, jugé, Ruby se perdra en déclarations insensées ou obscures, avant de mourir d’un cancer en prison.
Les éléments que nous venons d’énumérer sont contestés par les tenants du complot. Une immense littérature a été consacrée à chacune de ces preuves, dans le but de les réfuter. Les objections sont parfois farfelues, d’autres ont été controuvées par la commission Warren, d’autres ont été invalidées bien plus tard. Dans les années 1970, sur la base d’un document sonore qu’on croyait enregistré sur Dealey Plaza, une commission de la Chambre des Représentants a affirmé qu’il y avait eu un quatrième coup de feu et donc un autre tireur. On sait aujourd’hui que le document a été capté ailleurs et que les « impulsions » détectées par les experts de l’époque sur la bande magnétique ne sont pas des coups de feu.
Les erreurs du FBI
D’autres objections sont plus sérieuses, par exemple celles qui portent sur les motivations d’Oswald, sur son itinéraire, en partie occulté par la CIA, ou encore sur les failles de l’enquête du FBI ou sur les erreurs commises par la commission Warren (celle-ci dépendait des éléments transmis par le FBI, qui a caché certains éléments pour se protéger des reproches qu’on pouvait lui faire en raison de son manque de vigilance). On lira sur ce point la fascinante description du travail de la commission dans le livre de Philip Shenon. Il en ressort, notamment, qu’Oswald a eu des contacts à Mexico avec des agents cubains.
Nouvelle piste… Mais les thèses du complot se heurtent à un obstacle logique. Pour innocenter Oswald, il faut supposer que les preuves réunies contre lui (le fusil, les empreintes, la photo, la carte d’identité…) ont été fabriquées à l’avance pour tromper la police. Quand ? Comment ? Si Oswald est innocent, pourquoi a-t-il tué l’agent Tippit (fait établi) ? Et comment pouvait-on fabriquer des preuves à l’avance pour incriminer Oswald alors qu’on ignorait (fait établi) qu’il serait sur le chemin du cortège présidentiel ?
Le complot
On dira que les preuves ont été fabriquées par la police, que les autopsies étaient truquées, que Tippit était de mèche, qu’il devait exécuter le suspect et qu’Oswald l’a tué pour ne pas être tué, de même que Ruby, prévenu par un policier de la sortie d’Oswald, a pu entrer dans le garage avec la complicité des autorités. Mais ce sont de pures suppositions. De surcroît, le complot impliquerait non seulement la police de Dallas, mais aussi le FBI, qui a doublé l’enquête des policiers locaux, les médecins qui ont pratiqué les autopsies et enfin les membres de la commission Warren, qui auraient couvert cette mascarade.
Comme ces personnages, tous issus des plus importantes institutions américaines, n’ont pas pu agir de leur propre initiative, les ordres sont nécessairement venus du sommet. Entraîné par la logique de son raisonnement, Oliver Stone dans « JFK » aboutit à cette conclusion sensationnelle : c’est l’État américain qui a tué Kennedy.
Bien sûr, tout cela est possible. L’ennui, c’est que soixante ans plus tard, aucun témoin crédible, aucun protagoniste, aucun enquêteur produisant un document, un fait vérifiable ou une histoire étayée, n’est venu dire de manière crédible et vérifiable : « j’ai une preuve », « j’étais du complot » ou bien « j’étais au courant ». Aucun.
Dès lors, John Kennedy a bien été tué par un ancien marine un peu dérangé qui a agi seul et qui a lui- même été abattu par un tenancier de boîte de nuit paranoïaque. Jusqu’à preuve du contraire.
Lire tous les articles de la série sur leJournal.info :
1 : Kennedy : quel complot ? « L’exécution »
2 : Kennedy : quel complot ? « L’homme qui a tiré »
3 : Kennedy : quel complot ? « Le monticule herbeux »
4 : Kennedy : quel complot ? « La balle magique »
5 : Kennedy : quel complot ? : « Mystère dans le mystère »
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