La France face aux guerres
Il faut dire aux peuples d’Europe – et aux Français – que nous entrons dans une confrontation longue. La peur ne mènera à rien : ce qui compte, c’est notre volonté de rester ce que nous sommes. Par François Hollande
Deux ans que l’Ukraine résiste comme elle peut à l’offensive criminelle de Vladimir Poutine. Et cinq mois qu’Israël poursuit aveuglément le Hamas de sa vindicte après l’effroyable crime terroriste du 7 octobre. D’abord choqués, nous nous habituons à voir défiler devant nos yeux des images insupportables de mort et de destruction. Mais à chaque étape, lorsque les feux s’embrasent davantage, nous craignons d’être emportés par une escalade qui élargirait les conflits en cours et les intensifierait dangereusement pour les rapprocher de nos villes et de nos foyers.
Et puis le temps passe et rien ne paraît ni s’arrêter ni s’amplifier, au point que nous nous installons dans une étrange période, celle où la paix ne vient pas, mais où la guerre ne s’étend pas. Une période où tout paraît gelé sur le front ukrainien et où tout semble impossible pour arrêter trouver une solution à Gaza. Les solidarités continuent de s’exprimer, de moins en moins sonores, et les manifestations de soutien ou de condamnation sont de plus en plus rares tant elles paraissent inutiles. La négociation espérée entre Israël et Palestine, avec un cessez-le-feu durable, est reportée de jour en jour ; la discussion avec Poutine est repoussée de mois en mois, dès lors qu’elle serait, aux yeux de tous, une abdication et, pour nous, un reniement.
La peur s’installe inéluctablement au cœur même de la société française. Il y a ceux qui s’inquiètent de Poutine – il est bien temps, ne les ai-je pas prévenus ? – et redoutent ce qu’il pourrait encore entreprendre s’il n’était pas empêché, surtout si l’issue des élections américaines laisse l’Europe seule pour assurer la sécurité du continent, contrainte de décider de son destin face à la Russie. Il y a ceux qui redoutent qu’un soutien de plus en plus massif à l’Ukraine, non seulement devienne de plus en plus coûteux et périlleux, mais nous entraîne subrepticement dans le conflit lui-même.
Si Poutine n’a plus de limite, comment nous-mêmes pourrions nous en établir ? Les formules à l’emporte-pièce prononcées au plus haut niveau ajoutent encore à l’inquiétude. Il y a enfin ceux qui craignent que les désordres du Proche-Orient, ajoutés aux manœuvres de déstabilisation entretenues par les régimes autoritaires, conjugués aux conséquences sur nos économies de ces déséquilibres mondiaux, ne finissent par compromettre nos démocraties.
Devant ces innombrables incertitudes, devant ces insupportables impasses, la tentation la plus commode, c’est celle du repli. Elle ne naît pas de l’insouciance ou de l’indifférence, mais, tout simplement, de l’impuissance : puisque nous n’y pouvons rien, restons sagement chez nous, entre nous et pour nous. Laissons les événements parler d’eux-mêmes sans nous en mêler.
Les populistes de tous poils et les démagogues de tous partis trouvent là un terreau fertile pour pratiquer un « pacifisme » de circonstance. Faisons semblant de convenir qu’il faut aider l’Ukraine – pas trop quand même – appelons à un cessez-le-feu à Gaza, sans aller jusqu’à un plan de paix avec la solution à deux états.
Dénonçons dans le même temps les efforts exigés des Français pour accueillir les produits venant d’Ukraine ou pour subir les effets inflationnistes des conflits en cours. Repoussons la perspective de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, récusons l’idée d’une Europe de la défense et évitons d’affoler les Français en relevant les menaces plus ou moins fondées brandies par les régimes autoritaires. Voilà ce que serait leur diplomatie.
Mais croire que ces conflits, parce qu’ils sont lointains, ne sont pas notre affaire, c’est plus qu’un aveuglement, c’est une tromperie. Il n’est pas d’événement majeur dans le monde qui ne finisse par avoir une répercussion au sein même de notre espace national. Il n’est pas une guerre qui ne soit, de près ou de loin, entretenue par des puissances qui nous sont hostiles. Il n’est pas un désordre planétaire, en Afrique ou ailleurs, qui n’ait une conséquence en matière d’immigration.
Aussi la responsabilité des dirigeants européens est à l’évidence de préserver leur unité, mais à un haut niveau d’exigence et de responsabilité. L’heure n’est plus aux compromis de coin de table ni aux arrangements obtenus à coups de formules alambiquées. Les dirigeants européens ont le devoir de dire la vérité à leurs peuples. Qu’on le veuille ou non, nous sommes entrés dans une confrontation longue, dont l’issue dépend de notre persévérance, ce que nos économies et notre technologie nous autorisent, mais ce que le rythme de nos échéances électorales rend difficile.
Nous devons engager un effort durable pour notre défense, qui sera d’autant plus élevé si les Américains décident de ne plus être à nos côtés. Au Moyen-Orient, si l’Iran n’est pas arrêté dans sa volonté d’accéder à l’arme nucléaire, c’est un risque incalculable qui pèsera sur l’équilibre du monde. Enfin, ce ne sont pas tant nos territoires qui sont menacés par Vladimir Poutine, lequel veut recréer l’empire russe, c’est-à-dire l’Union soviétique, non, ce qui est en cause, ce sont nos valeurs, nos libertés, nos modes de vie, bref, l’esprit de nos démocraties et donc leur existence même.
Voilà ce qu’il faut dire, le dire fort, le dire clairement, sans avoir pour autant besoin d’aller plus loin. Pour ne pas avoir peur, il faut savoir ce que nous voulons être et mesurer ce que nous sommes prêts à faire pour rester nous-mêmes.