Lactalis : un sacré fromage, mais une drôle d’odeur
N° 1 mondial des produits laitiers et du fromage, le groupe français est impitoyable avec ses fournisseurs, les paysans, et tente de contourner toutes les règles, au détriment des consommateurs
Samedi 24 février, des agriculteurs sont venus déverser du fumier devant le stand du n° 1 mondial des produits laitiers le groupe Lactalis. Le même jour, d’autres manifestants dans l’Orne retiraient les produits Lactalis des rayons des supermarchés. Deux jours auparavant, 200 éleveurs à l’appel de la Confédération paysanne envahissaient le siège du groupe à Laval (Mayenne). Raison de cette colère, l’attitude du géant de l’agroalimentaire, qui s’obstine notamment à acheter le lait aux producteurs à un prix terriblement bas.
Le conflit n’est pas nouveau. Mais la crise agricole aidant, il s’envenime. Il est vrai que l’empire laitier tout entier, préoccupé par ses marges, se soucie peu de la survie de ses fournisseurs. Par ailleurs, il traîne une réputation de prédateur sans pitié quant à ses relations commerciales et de fraudeur patenté quant aux différentes réglementations alimentaires ou financières. La rage des producteurs de lait augmente en même temps que les profits de Lactalis, alors que leurs revenus baissent.
D’autant que les actionnaires se limitent à trois personnes, toutes membres de la même famille, qui détiennent la totalité des parts de la firme. Des gens discrets à la tête d’un groupe opaque, non-côté en Bourse, qui ne publie ses résultats que depuis 2019, après les avoir occultés pendant plus de vingt ans.
Un monstre
Emmanuel Besnier, le PDG, arrive au 5e rang des milliardaires français dans le classement annuel du magazine américain « Forbes ». Cet homme de 53 ans, avare de ses apparitions publiques, possède une fortune évaluée aujourd’hui à plus de 20 milliards d’euros. Elle a quasiment doublé en dix ans. Son frère Jean-Michel, président du conseil de surveillance, et sa sœur Marie figurent un peu plus loin au même palmarès.
Lactalis est un monstre. D’abord à cause sa taille. L’entreprise fondée en 1933 par le grand-père d’Emmanuel Besnier, André, un tonnelier, pour collecter du lait afin de produire des fromages, est aujourd’hui le n° 1 mondial des produits laitiers et du fromage. Le groupe est entré dans le top 10 des leaders mondiaux de l’agroalimentaire. Ses résultats lui ont permis en 2022 de doubler Danone. Des rumeurs de rachat de ce dernier par Lactalis ont même couru. Le chiffre d’affaires de cette année-là attend plus de 28 milliards d’euros. Les résultats ont progressé de 28 %. Le groupe emploie dans le monde 85 000 salariés et possède 270 sites de production dans 51 pays sur tous les continents. Aujourd’hui, Lactalis possède des centaines de marques. Parmi les plus connues en France ou à l’étranger, Président, Lactel, Bridel, Galbani (fromages italiens), Société (Roquefort),…
Ce monstre est aussi un ogre. Son avidité financière n’a pas de limites. Lactalis au début du mois a relevé son prix d’achat du lait de 405 à 420 euros les mille litres. Le groupe a affirmé : « Toutes primes confondues cette hausse porte le prix du lait à 460 euros ». L’Union nationale des éleveurs livreurs (UNELL) a refusé cet « effort », estimant les négociations peu transparentes et les dispositions de la loi Egalim, qui tente de garantir aux producteurs des prix d’achat convenables, non respectés. Aujourd’hui, le coût de production de 1000 litres de lait dépasse 560 euros…. « Avec Lactalis, zéro centime de rémunération pour le paysan. Et même pas de quoi même payer nos fournisseurs ! », réagit Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération Paysanne. Mais pas question pour Lactalis de céder un centime de plus et d’entamer ses marges.
Ogre tricheur
Mais le monstre est surtout un tricheur. La liste de ses déboires avec la justice est interminable. Dernière en date, une enquête du Parquet national financier pour fraude fiscale aggravée. Les sièges de plusieurs sociétés du groupe ont été perquisitionnés le 6 février par les spécialistes de la délinquance fiscale de la Police Judicaire. Le groupe est soupçonné d’avoir minoré son bénéfice imposable. Simple péripétie : l’industriel a été condamné… à cinq fois pour fraude sur la qualité du lait, pour mouillage, de l’eau dans le lait, pour vente de lait stérilisé présenté comme du lait pasteurisé, etc. Citons pêle-mêle d’autres condamnations entre autres pour abus de position dominante , entente sur les prix et pollution de cours d’eau.
Mais la pire affaire est, sans doute, celle en 2017. Lactalis a mis en vente du lait infantile contenant des salmonelles, ces bactéries toxiques qui provoquent des infections alimentaires : 20 enfants de moins de 6 mois sont immédiatement contaminés dans 8 régions différentes. La grande distribution tarde à retirer les lots incriminés. Le ministère de l ’Économie accuse le groupe d’avoir été défaillant dans la gestion du dossier. Au début de 2018, le PDG annonce que 83 pays sont concernés par le rappel de produits. Ils présente ses excuses aux familles.
Garde à vue
En août, le Canard enchaîné révèle que Lactalis a tenté de dissimuler des preuves. En octobre, l’hebdomadaire satirique annonce que l’industriel a continué à vendre du lait en poudre contaminé. Et le journal diffuse des éléments de rapports d’enquête qui montrent que Lactalis a considéré les alertes des parents comme « des informations erronées et des propos calomnieux ».
En décembre 2019, Emmanuel Besnier est mis en garde à vue, mais échappe à la mise en examen. Le couperet n’est pas tombé loin. Depuis le monstre essaie de montrer un visage plus aimable. Mais les éleveurs, producteurs de lait savent qu’il n’en est rien et que sa vraie nature, elle, ne change pas. Lactalis ne respecte qu’une seule règle : le profit.
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