Le message de Julie Gayet
L’actrice et réalisatrice a livré son diagnostic sur la crise du cinéma français miné par les scandales et les agressions sexuelles. Une leçon précieuse sur le devenir du juste mouvement #MeToo.
Il mérite mention spéciale, l’entretien que LeJournal.info a publié hier. Comédienne, productrice et réalisatrice, Julie Gayet possède cette qualité supplémentaire d’avoir réfléchi à son métier et d’analyser avec acuité les errements d’un milieu qui met les femmes dans une position seconde, soumise, subalterne en dépit de la célébrité acquise sur les plateaux de tournage, pour servir de proies à une théorie de prédateurs plus ou moins avoués.
Ainsi les agressions innombrables dont les actrices sont victimes – mais aussi les techniciennes ou les figurantes – ne sont pas seulement le fait de metteurs en scène, d’acteurs ou de producteurs saisis par l’hubris de leur position. Elles procèdent d’un système, qui assigne le rôle de proie à la femme de spectacle, choisie, convoitée, façonnée par ces Pygmalions illégitimes qui croient user de séduction et se livrent surtout à la manipulation.
Culture « systémique »
Les conservateurs, dans le milieu et ailleurs, voient dans cette analyse une généralisation abusive imposée par les militantes d’un « wokisme » débridé. La description éloquente de Julie Gayet réfute ces critiques, qui émanent de ceux qui ne veulent rien changer à cette inégalité humiliante. Des plaisanteries grasses aux attouchements, des familiarités, certes bégnines mais au bout du compte intolérables par leur permanence dégradante, jusqu’aux agressions les plus patentes et, dans les cas extrêmes, jusqu’au viol, composent bien une culture « systémique », comme disent les sociologues. Elle impose la sujétion des victimes, corollaire de la prédominance sans limites dévolue aux stars impérieuses et capricieuses, aux réalisateurs et aux producteurs dotés d’une sorte de droit de cuissage et qui tiennent entre leur mains la carrière des femmes du cinéma.
Mais aussitôt, s’attirant du coup la méfiance des féministes plus radicales, Julie Gayet introduit la nuance. Autant les comportements prédateurs établis méritent sanction, autant la recherche obsessionnelle de coupables qu’on aligne comme sur un tableau de chasse risque de manquer l’essentiel : la réforme nécessaire des mœurs du milieu, à travers des chartes de bonne pratique, des mesures préventives, et, grâce à l’instauration de « référents » sur les tournages, la protection permanente des comédiennes et des techniciennes qui sont sinon réduites au silence devant la difficulté à se faire entendre.
Prévention des abus
« Radicale », la juste révolte féministe demande des têtes. « Réformiste », elle est mieux avisée en organisant la prévention des abus et en exigeant l’égalité de traitement et la diversité des points de vue, grâce à l’augmentation du nombre de réalisatrices, étrangement mince, surtout à la télévision.
Aussi bien, Julie Gayet met en garde contre la tentation de l’annulation, qui étendrait aux œuvres la nécessaire sanction des délinquants sexuels. Répandue aux États-Unis mais encore rare en France, la « cancel culture » ferait succéder la censure à la domination masculine, alors que les films portent nécessairement la marque de leur époque et que leur occultation contredirait la liberté nécessaire des spectateurs et des créateurs, sans laquelle la culture serait mise sous une prude surveillance.
Changer le système, donc, et non se complaire dans la seule dénonciation individuelle et dans une nouvelle censure, qui prendrait alors l’allure d’une malsaine vengeance collective. C’est parler d’or…
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Lire sur LeJournal.info : Julie Gayet : « Le système du cinéma est très violent pour celles qui osent parler »
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