Les massacres oubliés

publié le 18/11/2023

Le conflit de Gaza émeut à juste titre l’opinion. Mais à ceux qui exigent une attention égale à toutes les victimes, il faut rappeler que bien d’autres affrontements méritent aussi leur attention. Par François Hollande

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

Depuis le 7 octobre, les yeux du monde sont tournés vers le Proche-Orient où, immanquablement, les attaques terroristes du Hamas ont été suivies par la riposte israélienne. Selon un processus compréhensible, la découverte de l’abomination commise envers les Israéliens a fait progressivement place à la détresse des Gazaouis, qui ne parviennent pas à éviter les bombes et à fuir les combats.

Les émotions s’ajoutent et se contredisent, souvent dictées par les positions antérieures des uns et des autres sur le conflit. Une comptabilité macabre s’instaure, comme s’il fallait établir une confusion des responsabilités. On oublie à cette occasion que si le Hamas n’avait pas perpétré l’innommable, Gaza ne serait pas aujourd’hui un champ de bataille, même si personne ne peut nier les conditions indignes infligées depuis longtemps à sa population.

Nous craignons, à juste raison, les conséquences de cette guerre sur nos sociétés. Nous redoutons l’exacerbation des passions, dont l’antisémitisme est la manifestation inacceptable. Nous comprenons les solidarités qui s’expriment à l’égard de la cause palestinienne, laquelle a été bien oubliée ces dernières années par les chancelleries occidentales et les pays arabes. Nous savons l’importance des images et le rôle des médias sur un sujet aussi sensible.

Nous comprenons également la place que ce conflit occupe dans le débat public comme dans le champ diplomatique, au point d’occulter, au moins pour un temps, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les bombardements que les avions et les drones de Poutine imposent à la population civile, comme la brutalité qui sévit dans les régions occupées par la Russie.

Le sombre calcul de Poutine
Après deux ans d’offensives et de contre-offensives, l’opinion finit par se lasser et son soutien à l’agressé s’étiole. C’est le sombre calcul de Vladimir Poutine : il retrouve un peu d’influence avec le drame du Proche-Orient, au point d’être regardé comme un intermédiaire possible et attend patiemment le verdict de l’élection américaine. Un jour, néanmoins, l’Ukraine reviendra sur le devant de la scène.

Mais peut-on oublier, aussi bien, que tant de conflits meurtriers se déroulent sur la planète, sans que plus personne, sauf quelques agences de l’ONU, ne s’en préoccupe ? Au Soudan, depuis avril dernier, une guerre civile atroce oppose l’armée régulière à une milice soutenue par des puissances étrangères. Elle a fait plus de 10 000 morts, créé 5 millions de déplacés et déscolarisé 20 millions d’enfants. Elle s’étend au Darfour, avec des trafics d’êtres humains et des femmes mariées de force et réduites en esclavage. Qui s’en alarme ?

En Éthiopie, la guerre du Tigré a fait des centaines de milliers de victimes (600 000 selon l’Union africaine) et les crimes contre l’humanité dans cette région ne font plus l’objet d’aucune surveillance internationale. C’est le conflit le plus meurtrier du XXIe siècle. Qui s’en émeut ?

 Aujourd’hui encore, dans une autre région, l’Amhara, des affrontements déciment des villages entiers et risquent d’aboutir à une famine épouvantable. Qui s’en soucie ?

Terreur et désolation
En République démocratique du Congo, à l’est de cet immense pays francophone, il ne se passe pas de jour sans qu’une milice, le M23, soutenue et armée par le Rwanda, ne crée la terreur et la désolation pour mieux prélever des minerais précieux dont une large part servira à la fabrication de nos outils numériques. Ainsi nous fermons les yeux sur une réalité dérangeante : c’est au prix de massacres, de viols et de meurtres d’enfants que cette ressource nous parvient, pillée et exploitée par les moyens les plus violents. Qui s’en offusque ?

Plus loin, en Asie, en Birmanie, précisément, une junte militaire a renversé une dirigeante démocrate, Aun San Suu Kyi, et écrasé les opposants, tuant plus de 20 000 personnes dans les mois qui ont suivi. 2 millions d’habitants ont fui la violence et la guerre s’est répandue dans tout le pays et notamment dans les régions proches de la Chine. Qui s’en inquiète ?

N’oublions pas, enfin, la résurgence du terrorisme au Sahel, en Afrique de l’Est, en Somalie, au Mozambique, comme si le manque d’images effaçait une réalité que nous préférons ignorer. Et nous avons tout autant fermé les yeux sur l’Arménie menacée par l’Azerbaïdjan et son allié turc, celui-là même qui considère que c’est l’Occident qui est « le fauteur de guerre », sans remettre en cause son appartenance à l’OTAN. 

Entendons-nous : il ne s’agit pas de prôner je ne sais quel relativisme. Ce qui se joue au Proche-Orient appelle toute notre attention, voire notre mobilisation, parce que ce conflit est inflammable, exportable et épouvantable. Mais à ceux qui rappellent, à juste titre, que toutes les victimes ont la même valeur et que l’émotion ne peut pas être à éclipse, nous conseillons de porter aussi leur regard sur tous les malheurs qui frappent l’humanité et non sur un seul d’entre eux.

Nous leur suggérons, tout autant, de demander aux dictateurs et aux groupes qui commettent les pires crimes de rendre des comptes et de cesser de martyriser leurs populations, victimes du fanatisme, de la prédation et du cynisme des puissances autocratiques.

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