Manouchian : polémiques pour un massacre

par Sandrine Treiner |  publié le 17/02/2024

Aujourd’hui, 80 ans jour pour pour jour après leur mort, Missak Manouchian et Mélinée Manouchian font leur entrée au Panthéon…

D.R

L’entrée, ce mercredi 21 février 2024 au Panthéon de Missak et Manouchian déchaîne, 80 ans après leur exécution , de vives polémiques.

Polémique politique: malgré la demande de Macron et des proches, Marine Le Pen, cheffe du RN, a fait savoir qu’elle participerait à la cérémonie d’entrée au Panthéon du résistant communiste apatride Missak Manouchian.

Polémique sur le fond : entre militants de la mémoire et historiens sur le choix des deux militants. Une polémique que nous décrypte, ci-dessous, Sandrine Treiner:

C’est après une intensive chasse à l’homme menée dans Paris par les brigades spéciales de la préfecture de police de Paris et grâce à une trahison que le groupe connu par les visages de dix de ses hommes affichés dans toute la France par l’occupant est entré dans l’Histoire.

Vingt-deux communistes dont vingt étrangers, juifs d’Europe centrale et de l’Est, Arméniens, Espagnols, Italiens devenus les visages de la lutte pour la liberté. Auteurs d’attentats contre les forces d’occupation – jamais contre des civils-, jugés durant un simulacre de procès devant le tribunal militaire allemand. « Des libérateurs ? », « Non, l’armée du crime », proclamait « l’affiche rouge » .

A travers la figure de Missak Manouchian, c’est la résistance étrangère dans Paris occupée, les derniers héros engagés sur le terrain parisien, qui prend le chemin du Pantheon à la suite de Jean Moulin, puis de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay, quatre grandes figures entrées, le 27 mai 2015 au Panthéon.. 22 hommes, et une femme, Olga Bancic, née en Bessarabie.

On s’attendait à ce que ce geste symbolique décidé par le président Macron recueille a minima l’assentiment des historiens et des inlassables militants de la mémoire. C’est compter sans le goût de la controverse qui a désormais pris le pas sur tous les sujets, en toutes circonstances. Alors qu’il y a tant à expliquer, à raconter, à informer sur des pages d’histoire peu connues du grand public, voilà l’effort nécessaire troublé par un débat vain et sans fin.

La décision de la panthéonisation a été prise le 18 juin 2023 après l’initiative « Missak Manouchian au Panthéon » lancée par l’Unité laïque à l’automne 2021. Cosignataire de la tribune initiale, Denis Peschanski, historien et directeur de recherche au CNRS, coauteur du Sang de l’étranger, Les immigrés de la M.O.I dans la résistance en 1994, a rejoint le comité exécutif en tant que conseiller historique. « Missak Manouchian est déjà rentré dans la mémoire collective, avant même de rentrer au Panthéon », dit-il pour expliquer le choix du dirigeant d’origine arménienne.

Dans Répliques sur France Culture le 9 septembre dernier, une discussion déjà vive a opposé Denis Peschanski et l’historienne Annette Wieviorka. La polémique naissante portait sur le choix porté sur les Manouchian : pourquoi eux et pas les autres – Mélinée n’étant elle-même pas une figure résistante majeure ? Dans un très court libelle publié il y a quelques jours, après une tribune signée par plusieurs personnalités, dont Patrick Boucheron, Edgar Morin ou Patrick Modiano, Annette Wieviorka insiste pour regretter ce qu’elle qualifie d’injustice à l’égard de ceux qui n’iront pas au Panthéon. Mieux elle considère que l’histoire a été distordue. « Une légende », est-il écrit en couverture, « à l’époque des faits alternatifs ». Les termes sont forts . Une légende ?

Alors qu’une plaque sera apposée au Panthéon pour rappeler les noms de tous les membres du groupe, et qu’à ce titre, la polémique semble clairement s’appauvrir d’elle-même, on ferraille sur les plateaux. Aux uns, l’universalisme du nom Manouchian, aux autres, le regret d’une restriction communautaire au mépris de la fraternité collective. Mauvais combat.

Le sujet le méritait-il ? « Les juifs étrangers engagés dans la résistance sont-ils symboliquement spoliés de leurs actes et de leur mémoire au moment où ils sont reconnus comme jamais ? On ne voit vraiment pas à quel titre. A minima, le pragmatisme mémoriel donc politique commandait de se féliciter de cette décision. » Oui, deux pour vingt-trois et pour bien davantage, pour les magnifiques étrangers morts pour de grandes idées. Dans nos temps sans héroïsme, la cause méritait un peu d’unanimité.

À voir, à lire :

Manouchian et ceux de l’Affiche rouge. Documentaire de Hugues Nancy et Denis Peschanski le 20 février à 21h10. Exposition au Mémorial de la Shoah.

Missak et Mélinée Manouchian. Denis Peschanski, Claire Mouradian et Astrig Atamian. Textuel.

Anatomie de l’Affiche rouge. Annette Wieviorka. SeuilLibelle.

Sandrine Treiner

Editorialiste culture