Mohammed Deif : un tueur made in Gaza
Itinéraire du chef des Brigades Al-Qassam, cerveau de l’offensive contre Israël, personnage secret et insaisissable, islamiste et terroriste devenu l’ennemi n° 1 d’Israël
Il fait sombre ce jour-là dans ce sous-sol d’un immeuble de Gaza. On a ôté les batteries de nos portables. Les mains de mon interprète, membre du Hamas, tremblent. Le chef d’une cellule militaire des Brigades d’Al-Qassam, un de ces combattants inspirés par Mohammed Deif, vient d’arriver. Jeune, athlétique, barbu, le teint étrangement pâle, calibre 9mm à la ceinture, il s’assied en jetant de brefs coups d’œil autour de lui.
Il se sait recherché, change de maison chaque nuit, n’utilise plus de voiture, se déplace accompagné d’un garde du corps, portable débranché, batterie désolidarisée, pour éviter d’émettre le moindre signal détectable par les F-16 israéliens qui tournent dans le ciel à la recherche du moindre signal électronique. « La technologie d’Israël est infiniment supérieure à la nôtre. Il faut être prudent. »
Le chef de cellule se méfie des avions, des espions, des fuites, de tout. Sa seule défense ? Le secret et la clandestinité. Et quand je lui parle des risques qu’il prend, il me regarde, calme et froid : « Chacun d’entre nous sait qu’il va mourir. Moi, je suis déjà mort. »
Déjà mort. C’était à l’automne 2006. J’ai essayé de le faire contacter un an plus tard. On m’a répondu qu’il était devenu un martyr.
Deif est un fantôme. De lui, on ne connait que deux ou trois vieilles photos, prises en 1989
L’homme m’avait confié avoir un modèle : Mohammed Deif, devenu chef des Brigades Al-Qassam, branche militaire du Hamas, islamiste et terroriste, celui qui vient de lancer « Déluge d’Al-Aqsa », l’offensive sanglante sur le territoire israélien. Le jeune chef et son modèle avaient un point commun : ils sont tous les deux le pur produit de l’histoire de la Bande de Gaza, 2, 2 millions d’habitants, longue de 41 kilomètres et large de six à douze km, 4 000 habitants au kilomètre carré, la plus haute densité de population au monde, bouclée depuis une génération, emmurée, fourmilière sans horizon et sans avenir, qualifiée de prison à ciel ouvert, et parfois d’asile de fous.
Deif est un fantôme. De lui, on ne connait que deux ou trois vieilles photos, prises en 1989 au moment de son incarcération dans une prison israélienne. Son nom veut dire l’« invité », parce qu’il change de maison et de lit chaque nuit. Personne ne l’a vu depuis des années et il n’est apparu qu’une fois en ombre chinoise à la télé.
En Israël, Deif est un cauchemar, l’homme à abattre. Huit fois, les militaires de Tsahal ont essayé de l’assassiner.
C’est un paranoïaque, invisible, qui est resté sept ans sans parler publiquement et n’a repris la parole à la radio que pour lancer une offensive armée, promettre la colère d’Al-Aqsa, et la justifier : « A la lumière des crimes répétés contre notre peuple, l’occupation rampante au mépris des lois et des résolutions internationales… »
En Palestine, Deif est une légende pour les manifestants radicaux qui défilent en scandant : « Nous sommes le peuple de Mohammed Deif ! »
En Israël, Deif est un cauchemar, l’homme à abattre. Huit fois, les militaires de Tsahal ont essayé de l’assassiner. En 2014, ils croient l’avoir repéré et lancent cinq bombes anti-bunker sur son abri. Sa femme et son gosse de deux ans sont tués. Lui s’en sort, mais, dit-on, perd un œil et une main dans l’attentat. Et se voit affublé d’un nouveau surnom, le « chat à neuf vies ».
Théoricien des attaques multiples simultanées – dans les airs et par les souterrains,- il est le cerveau qui a conçu la stratégie de la dernière offensive.
Pour les Israéliens, nul doute, Deif est le « Ben Laden » de Gaza, expert artificier qui a tout appris de son mentor « l’ingénieur », le célèbre Yehia Ayache, assassiné en 1996. Lui aussi, ce théoricien des attaques multiples simultanées – dans les airs et par les souterrains,- cerveau qui a conçu la stratégie de la dernière offensive. Lui encore qui a industrialisé la fabrication des missiles Qassam, arme fétiche du Hamas. Lui toujours…
Aujourd’hui, après l’horreur et la violence qui ont marqué une offensive d’envergure – « du jamais vu dans l’histoire d’Israël », a dit un général- Israël ne peut plus laisser en vie Mohammed Deif, l’âme du « Déluge d’Al-Aqsa ». C’est d’ailleurs un des buts avoués d’une possible invasion terrestre de la Bande de Gaza. Trouver le fantôme, tuer l’homme, venger les victimes, l’honneur, et en finir avec le mythe.
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