Nouvelle-Calédonie : les sophismes de la droite dure

par Laurent Joffrin |  publié le 20/05/2024

En soutenant les revendications des Kanaks, la gauche tiendrait un discours identitaire qu’elle dénonce pour la France. Comme si les situations étaient comparables.

Laurent Joffrin

C’est le nouveau sophisme en vogue chez les nationalistes, censé discréditer toute parole progressiste sur la Nouvelle-Calédonie et justifier, par antithèse, le maintien de la domination française sur l’archipel des antipodes. En France, entend-on à la droite de la droite, la gauche dénonce le discours identitaire et nationaliste, qu’elle magnifie dès qu’il s’agit du peuple kanak. Incohérence criante qui ruinerait ses raisonnements et réfuterait son souci d’écouter les demandes des autochtones calédoniens.

Filons donc la comparaison. La France, sous-entend cette droite radicale, n’est pas foncièrement différente de la Nouvelle-Calédonie, ce qui permet de prendre la gauche en flagrant délit de contradiction pour la bonne raison qu’elle applique à deux situations analogues un coupable « deux poids deux mesures ». Comme chacun sait, en effet la France a été conquise manu militari il y a plus d’un siècle et demi par une lointaine puissance qui a confisqué les meilleures terres, installé ses ressortissants partout sur le territoire et mis en place un système de gouvernement colonial qui perdure pour partie aujourd’hui, puisque l’armée et la police françaises sont dirigées par un Haut-commissaire qui applique les consignes d’une lointaine métropole. Les Français d’origine ne représentent plus que 40 % de la population, ce qui justifie leur volonté farouche de préserver leur identité et de revendiquer le rétablissement de leur souveraineté politique.

Histoire coloniale

Arrêtons là cette transposition hypothétique : elle montre à l’évidence que l’assimilation des deux situations n’a aucun sens. La revendication kanak découle directement d’une histoire coloniale dont les prolongements sont encore visibles aujourd’hui, tandis que la dernière colonisation subie dans l’hexagone remonte à la conquête romaine, que personne ne songe à invoquer pour faire progresser une quelconque revendication politique. La comparaison avancée par les nationalistes français est absurde et n’a d’autre utilité que de fournir des arguments douteux à la cause « loyaliste ».

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Mais ce rappel élémentaire vaut aussi pour la gauche radicale, qui plaque sur les événements en cours d’une grille sommaire et tout aussi contestable. La Nouvelle-Calédonie n’est plus l’une de ces anciennes colonies où les statuts juridiques des uns et des autres étaient inégaux et discriminatoires et où une petite minorité de colons faisait la pluie et le beau temps. C’est un territoire autonome qui se gouverne largement lui-même et dont l’assemblée représentative, le Congrès, est présidée par un autochtone, le kanak Roch Wamytan. On n’a pas le souvenir qu’il en était de même dans l’Algérie coloniale ou dans tout autre possession française de l’ancien empire. De même, les leaders indépendantistes, pour la plupart, ne conçoivent pas l’avenir de leur pays sans la communauté « caldoche » ou « métro », avec lesquelles ils avaient passé, à force de négociations, un compromis assurant la paix civile.

C’est en rompant ce compromis que le gouvernement Macron a provoqué la révolte récente. Ce qui démontre qu’il n’y a pas de futur rationnel – et pacifique – pour la Nouvelle-Calédonie dans la victoire unilatérale de l’une ou l’autre communauté. Plutôt que de se référer à l’ancienne décolonisation, souvent obtenue dans le sang et la violence, il s’agit, pour tout progressiste, d’inventer des solutions nouvelles dans une situation spécifique, qui imposent concessions mutuelles et dialogue permanent.

Laurent Joffrin