Suppression de l’AME : la faute

par Professeur Frédéric Adnet |  publié le 14/11/2023

S’attaquer aux plus fragiles, aux plus pauvres, aux plus misérables ? Tout médecin ne peut que s’insurger avec force contre la proposition de suppression de l’Aide Médicale d’Etat. Et promettre de désobéir!

Comme toujours, la nouvelle mesure d’économie s’attaque aux plus faibles, aux plus fragiles et aux plus… malades. Comme toujours, une inversion des responsabilités va rendre coupables nos patients les plus vulnérables des déficits de l’assurance maladie et de ses supposées dérives.

Cette fois-ci on s’attaque aux plus pauvres, aux plus misérables et à ceux pour qui nous n’avons pas à craindre une réaction collective puisqu’ils errent dans un quart monde invisible fait de techniques de survie, d’errance cachée et de craintes permanentes d’arrestation et d’une éventuelle expulsion. C’est un peuple que l’on ne voit pas ou pour lequel le regard se détourne, avec une compassion ou une pitié qui semble avoir de moins en moins de prise. Je veux parler des hommes et des femmes en situation irrégulière, séjournant dans notre pays depuis plus de trois mois.

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Même si des mesures policières, de justice ou administratives en leur encontre peuvent se justifier dans un état de droit, la dignité et le respect de l’humain restent une dernière liberté que je pensais, inaltérable. Dans cette logique, l’accès aux soins permettait à ces « gueux des temps modernes » de garder une condition humaine que le monde soignant pouvait -partiellement- procurer. Notre République, consciente que cette humanité de base a donc légiféré en créant l’Aide Médicale d’État.

En cela, elle est fidèle au serment d’Hippocrate prêté par l’ensemble de médecins de notre pays :

« Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. »

Ainsi dans sa sagesse, la Loi prévoyait de donner des soins gratuits à ces indigents -d’origine étrangère et en situation irrégulière -en abondant une enveloppe nommée l’aide médicale d’état (AME). L’état se souciait de laisser un être humain dépourvu de tous droits dans un état de santé compatible avec une intégrité physique synonyme de dignité. Cette aide, le plus souvent méconnue des bénéficiaires eux-mêmes, a permis pour environ 400 000 patients d’en bénéficier et cela représente environ 1 milliard d’euros par an soit 0,4 % des dépenses de l’assurance maladie.

« Si tu veux tuer ton chien, dis qu’il a la rage ! »

 Cette technique, vieille comme le monde, a bien sûr été utilisée pour pourfendre cette aumône. Rapidement, des voix se sont élevées en accusant l’AME de dérives entre un tourisme sanitaire imaginaire ou l’utilisation de cet argent pour des soins « cosmétiques ».

La réalité est toute autre. Ces patients peuvent être atteints de maladies évolutives, contagieuses, avec un potentiel d’aggravation mettant en jeux le pronostic vital. Aberration sanitaire ; si on nous enlève la possibilité de combattre la maladie à sa phase initiale, alors il sera bien plus difficile de contrer une diffusion de bacilles comme celui de Koch, responsable de la tuberculose. Laisser évoluer une maladie grave comme un cancer, c’est alors prendre le risque que le patient se rende plus tard, beaucoup plus tard dans un service d’urgence en pleine décompensation.

Dans cette situation, la prise en charge entre dans le cadre de l’urgence vitale et ainsi la cascade de soins pour cette maladie décompensée coutera infiniment plus cher à l’assurance maladie ! On le voit, ce calcul à courte vue, électoraliste et surfant sur la haine de l’étranger, prend pour cible une population et susciter une peur irraisonnée.

Je travaille à « l’ Assistance Publique – Hôpitaux de Paris », anciennement « Hospices Civils de Paris ». Les mots ont un sens et ces mots, tellement doux, me poussent à trouver une âme dans mon métier en m’opposant à la proposition d’une suppression de l’AME.

Professeur Frédéric Adnet

Chroniqueur médical