Immigration : la bataille de l’Assemblée

par Valérie Lecasble |  publié le 11/11/2023

Considérablement durci au Sénat, le projet de loi sur l’immigration fera l’objet d’affrontements à l’Assemblée nationale. Élisabeth Borne a déjà annoncé qu’elle s’opposerait à la suppression de l’Aide Médicale d’État (AME)

Gerald Darmanin, ministre de l'Intérieur et de l'Outre-mer . Séance publique de questions d'actualité au gouvernement dans l'hémicycle du Sénat -FRANCE, Paris, 2023-11-08- Photographie Xose Bouzas / Hans Lucas

Et maintenant, l’Assemblée nationale. Les députés qui démarreront ce lundi 11 décembre l’examen du projet de loi sur l’immigration affûtent déjà leurs ,armes tant la semaine écoulée a vu le ministre de l’Intérieur se coucher comme jamais devant les exigences de la droite sénatoriale.

Certes, Gérald Darmanin a atteint son objectif : le vote solennel qui adoptera le texte au Sénat, mardi 14 novembre, promet d’être une simple formalité. Rien n’aurait été pire pour lui que d’être déjugé par sa famille politique.  Mais c’est aussi le début des vrais ennuis. Le ministre a braqué la gauche et fracturé la majorité présidentielle, jusqu’à la Première ministre qui s’est publiquement déclarée avec plusieurs de ses ministres, dont celui de la Santé, contre le projet sénatorial de supprimer l’Aide Médicale d’État (AME). La perspective, dangereuse selon le monde hospitalier, reviendrait à laisser sans soins des étrangers malades vivant en France.

Pour en arriver là, Gérald Darmanin, décidé à remporter coûte que coûte l’adhésion des sénateurs, a tout lâché, entérinant sans mot dire le durcissement de toutes les mesures destinées à contrôler et à sanctionner les immigrés, en particulier les délinquants.

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Délit de séjour irrégulier, quotas migratoires, durcissement du regroupement familial, les sénateurs de droite ont aussi balayé l’existence des immigrés dits « protégés », à savoir ceux qui vivent depuis longtemps en France ou y ont de la famille.

Plus de dérogation pour les étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans ou ceux qui y résident depuis plus de vingt ans. Ceux-ci seront, comme les autres, expulsés en cas de « violation délibérée et d’une particulière gravité des principes de la République » ou de « condamnation définitive pour des crimes et délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ».

Les parents et conjoints de Français et les étrangers en France depuis dix ans seront eux aussi expulsés s’ils sont condamnés à trois ans de prison ou commettent des violences intrafamiliales. Tout étranger pourra faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) « en cas de menaces graves à l’ordre public ». Et son titre de séjour pourra lui être retiré en cas de « non-respect des principes de la République », comme le port ostensible d’une tenue religieuse, le refus de se faire soigner par quelqu’un d’un sexe opposé ou encore le fait de cracher sur le drapeau français pendant une cérémonie. Ambiance…

Ce n’est pas tout. Versant dans la surenchère, la droite sénatoriale a également obtenu des dispositions destinées, dit-elle, à lutter contre un supposé « appel d’air » en faveur des immigrés sur le sol français, à savoir les aides qu’ils y reçoivent. Il s’agit de l’AME, mais aussi des aides sociales (allocations familiales et handicapés, aide au logement) qui ne seraient désormais plus octroyées aux nouveaux arrivants sur le sol français, mais seulement au bout de cinq ans au lieu de six mois actuellement.

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Enfin, plus grave, le volet intégration des travailleurs immigrés a été supprimé. Le fameux article 3 prévoyait la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension à condition d’être depuis trois ans en France et d’y avoir travaillé huit mois. Il a été rayé d’un trait de plume. Cette régularisation ne serait plus accordée qu’au cas par cas, à titre exceptionnel et à la seule discrétion des préfets.

Bilan : une razzia de la droite sénatoriale qui a tout remporté. Aux députés, désormais, de tenter de rétablir l’équilibre pour un projet dont Gérald Darmanin revendiquait – initialement – la paternité.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique