Surtout, ne pas se rassurer !

par Laurent Joffrin |  publié le 04/07/2024

Les projections des sondeurs ne sont pas favorables au RN. Mais trop y croire serait la plus sûre manière de les faire mentir.

Laurent Joffrin

Prudence, méfiance, vigilance… Comme nous l’écrivions avant-hier, les désistements massifs de la gauche pour les candidats non-RN, tout comme ceux des macroniens pour la gauche, semblent écarter la menace d’une majorité absolue pour les lepénistes. Mais nous écrivons bien « semblent écarter » et non pas « écartent ».

À ceux qui sont tentés de passer en une journée de l’abattement à l’euphorie, conversion dangereuse s’il en est, il faut rappeler quelques faits. Pour les passionnés de politique, en effet, les sondages, c’est comme la cocaïne : le soir, on se croit le roi du monde et, au petit matin, on n’est plus qu’un zombie neurasthénique, selon que les chiffres sont bons ou mauvais.

Les faits ? Les voici. Lors des législatives de 2022, la plupart des projections effectuées deux ou trois jours avant le scrutin attribuaient une quarantaine de sièges au RN. Au soir du vote, ils étaient 89 élus lepénistes, soit plus du double. Imaginez ce que donnerait une erreur de ce genre cette fois-ci !

Est-ce possible ? Allez savoir : ces désistements apparaissent aux yeux d’une partie de l’électorat comme l’ultime manœuvre du « système » pour priver les lepénistes de leur victoire. Ces retraits calculés, qui consistent, en fait, à devenir l’ami des ennemis de ses ennemis, risquent de renforcer le bon peuple dans sa volonté de renverser la table. Et ce surcroît de mobilisation peut faire mentir des projections qui sont, de l’aveu même des sondeurs, fragiles et incertaines.

Vindicte

Aussi bien, les témoignages épars publiés par la presse ou bien obtenus de première main, montrent que la poussée RN est puissante, profonde, impérieuse. La vindicte contre les classes dirigeantes, contre les « sachants », contre « ceux d’en haut », est intacte dans les tréfonds de la société française. Un tel ressentiment, lui aussi, peut invalider les calculs savants des experts en prévision électorale.

L’alternative au RN, enfin, aussi nécessaire soit-elle, semble nébuleuse à l’opinion. Si ce n’est Bardella qui devient Premier ministre, qui ? Personne ne sait le dire, alors même que cette option est présentée comme la seule planche de salut pour les républicains. Le RN est minoritaire ? Peut-être. Mais la majorité adverse est morcelée, divisée, sans chef ni programme. Quoi qu’on pense des idées des uns et des autres (beaucoup de mal s’il s’agit du RN), la cohérence, l’unité, la clarté sont du côté de l’extrême-droite et non de ses adversaires.

Autrement dit, en dépit des enquêtes qui ont pu rassurer, l’ombre de Bardella plane encore sur l’Hôtel Matignon. Que vaut la peau de l’ours quand l’ours gambade toujours dans la forêt ? Le soulagement n’est pas de mise, l’optimisme est dangereux et il faut de méfier de la confiance. Le RN s’est éloigné de la victoire ? Peut-être. Il faut néanmoins faire comme s’il en était à deux doigts.

Laurent Joffrin