Une coalition droite-gauche ? C’est possible

par LeJournal |  publié le 03/07/2024

Si le RN perd, ce sera le chaos avec un Parlement sans majorité, disent les commentateurs paresseux. L’Histoire montre le contraire

Assemblee Nationale, a l'entree principale du batiment- Photo Xose Bouzas / Hans Lucas

Un gouvernement de coalition gauche-centre, ou gauche-droite, ou gauche-centre-droite ? Quelle horreur ! « Ils ne sont d’accord sur rien ! », « Comment voulez-vous concilier LR et le Nouveau Front Populaire, Jean-François Copé et Sandrine Rousseau, Gérard Larcher et Marine Tondelier ? », « Ça ne tiendra pas un mois ! » Voilà ce qu’on entend quand on tente d’expliquer ce que pourrait être le gouvernement de la France en cas de défaite du Rassemblement National dimanche prochain.

L’ennui pour ces Cassandre, c’est que, contrairement à une idée reçue, les coalitions disparates, dans l’histoire politique française, ne sont pas toujours les plus fragiles ni les plus stériles. Habitués au balancement droite-gauche instauré par la Vème République, surtout depuis l’élection du président au suffrage universel, nous avons du mal à imaginer autre chose. Pourtant quelques souvenirs historiques montrent que cette loi d’airain n’en est pas une : plusieurs fois dans l’histoire de la République, ce sont des coalitions larges qui ont dirigé le pays, avec difficulté, souvent, mais parfois aussi, avec un grand succès.

Après le 6 février 1934 et l’assaut des ligues d’extrême-droite contre l’Assemblée, on fit appel, dans l’urgence, à un ancien président, Gaston Doumergue, qui rassembla un gouvernement d’union nationale pour sauver les institutions. Ce gouvernement ne dura pas et laissa la place à des gouvernements de droite, puis au Front Populaire. Mais il maintint l’essentiel : la forme républicaine du gouvernement.

En 1951, face à l’assaut combiné des communistes et des gaullistes, la IVème République résista grâce à la « loi des apparentements », réforme électorale byzantine née de l’imagination fertile d’Edgar Faure, qui permit une concentration « républicaine » au centre. Expériences éphémères qui sauvèrent les régimes en place, mais disparurent bien vite. Pas très bon souvenir, donc, même si ces arrangements précipités ont maintenu l’essentiel.


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Il en va tout autrement de deux coalitions droite-gauche (contre nature, donc, selon les critères contemporains), qui ont laissé derrière elles un bilan remarquable. Ce fut d’abord, au sortir de la guerre, le rassemblement droite-gauche de la Libération issus de la Résistance, entre les démocrates-chrétiens (refuge des conservateurs), les socialistes et les communistes, sous la houlette d’un général autoritaire venu de la droite nationaliste, Charles de Gaulle, qui mit en place les grandes institutions sociales et démocratiques qui soutiennent encore aujourd’hui notre vie collective (entre autres : la Sécurité sociale).

C’était la guerre, dira-t-on. Prenons alors l’exemple du « gouvernement de défense républicaine » formé en 1899 par Pierre Waldeck-Rousseau, républicain modéré (mais « pas modérément républicain », disait-on), en pleine affaire Dreyfus, pour contrer les virulents assauts de l’extrême-droite de l’époque, emmenée par ses leaders antisémites Barrès, Drumont, Guérin ou Déroulède. Fruit d’une coalition parlementaire « contre nature » – elle comprenait à la fois le général de Galliffet, « fusilleur des communards » et Alexandre Millerand, socialiste, ou encore Joseph Caillaux, future étoile des radicaux. Cette équipe « contre nature » résista aux ligues factieuses, gouverna trois ans avec sagesse et mit à son actif des réformes importantes, comme la loi sur les syndicats ou sur les associations, piliers des libertés républicaines.

Autre temps, bien sûr. Mais si les Français choisissent, en connaissance de cause, de priver le RN d’une majorité sans en désigner clairement une autre (hypothèse vraisemblable), il faudra bien faire avec. Dans ce cas, pour sortir de l’impasse, pour trouver une nouvelle base parlementaire, les leçons de l’Histoire ne seront pas inutiles. Dans plusieurs situations critiques, la République a su trouver un mode de gouvernement qui écarte la menace de l’extrême-droite et conduise néanmoins le pays avec une efficacité certaine. Pourquoi pas en 2024 ?   

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