Une politique du possible

par Boris Enet |  publié le 12/07/2024

Tout le programme ? Impossible. En revanche, voici trois pistes de réforme bénéfiques et réalistes.

Boris Enet

Au chapitre des solutions pour apaiser, réparer un pays divisé, fracturé par l’injustice et les agissements des monstres surgis du clair-obscur, rien ne serait plus dommageable que l’à-peu-près, le bâclé au nom de l’urgence réelle ou supposée. Il y a mieux à faire. Car les atouts ne manquent pas, comme l’indiquent les dernières évaluations de l’Insee – inflation, croissance du PIB, emplois et même pouvoir d’achat. Encore faut-il vouloir, pouvoir, en sachant où l’on va.

Tranquillité publique contre insécurité

Tout indique que cette préoccupation est chevillée au corps et à l’esprit d’innombrables Français. Il est en effet absolument inacceptable qu’un fonctionnaire de police soit brûlé au second degré à Nantes un soir d’élection, simplement pour avoir fait son travail. Il est tout aussi insupportable et révoltant que nombre de jeunes soient l’objet de discriminations récurrentes, de contrôles au faciès, de marques de mépris de la part de certains « flics ». Il est insupportable que les violences faites aux femmes traumatisent, mutilent, tuent, dans nos rues comme dans certains enfers conjugaux. Il n’est pas acceptable, enfin, qu’une partie de nos concitoyens puissent penser que des croyances religieuses sont au-dessus des lois de la République.

Comment agir si ce n’est par un effort d’éducation permanent, d’encadrement par tous les pores de la société, auprès de tous, de nos jeunes comme de nos forces de l’ordre ? Celles-ci ne peuvent pas assurer la tranquillité publique la peur au ventre et user alors sereinement et de manière proportionnée de la « violence légitime » quand elle est indispensable. Chez les jeunes, l’école et les élus de proximité sont en première ligne, mais insuffisamment soutenus. Auprès des forces de l’ordre, la discipline et le respect de nos textes fondateurs, des droits de l’homme, ne sont pas négociables. Pierre Joxe s’y était employé… mais sans continuité en la matière, les progrès s’étiolent vite.

Une double mesure est de nature à apaiser le lourd climat d’insécurité. Que chaque policier en intervention soit porteur d’une caméra individuelle le protégeant autant que celles et ceux qu’il contrôle, arrête en flagrance ou en fonction d’un soupçon, fondé ou pas. Un moyen de contrôler a posteriori et donc d’améliorer l’efficacité d’une police républicaine au service de la population. Le carnet à souches qui permettrait de délivrer un récépissé de contrôle est tout aussi souhaitable et réalisable pour peu que l’on se donne les moyens d’expliquer pourquoi et comment le mettre en œuvre. Sur ces mesures, il faut que la nouvelle Assemblée soit saisie d’un texte court complétant ceux qui régissent l’ordre public. Une intense campagne d’explication, de motivation dans les unités et auprès du public doit accompagner l’entrée en vigueur du dispositif.

Pouvoir d’achat, sans tête-à-queue

Nul ne contestera la nécessité d’améliorer le pouvoir d’achat avec des retombées positives pour les travailleurs comme pour l’économie. À la condition que l’on s’y prenne avec doigté ,sans créer d’effets contreproductifs. Respecter les grands équilibres s’impose, car ils nous contraindraient davantage encore, demain, si on prétendait les ignorer. Le reconnaitre ne nous prive pas de marges de manœuvre, mais nous permet d’agir en responsabilité de manière maitrisée et démocratique.

Le chômage a beaucoup reculé dans le pays, constituant un acquis des gouvernements précédents qu’il faut préserver. Le dérapage budgétaire qualifié par Bercy « d’accident budgétaire » se révèlera moins dommageable si les réparations sont effectuées à temps… sans attendre d’être rattrapé par la patrouille européenne pour se mettre en règle. Quant à la dette souveraine, pour lourde qu’elle soit, ce n’est pas un cas unique. Il y a pire sans que ce soit une excuse ! Une dizaine d’États membres sont en « infraction ». La levée sans encombre de quelque 10,5 milliards d’emprunts sur les marchés par France Trésor entre les deux tours a démenti les Cassandre. Dépenser moins sans doute… mais surtout mieux.

Trois éléments se conjuguent pour réussir à améliorer le pouvoir d’achat des ménages Une exigence sociale devant se traduire le plus tôt possible sur les fiches de paie ; une garantie à moyen terme que les revenus – salaires, pensions et retraites – seront bien indexés sur le coût de la vie ; et enfin que la « smicardisation » d’une part toujours croissante des salariés ne sera pas au rendez-vous de bonnes intentions mal maîtrisées. Sans s’étendre sur des détails techniques, il est possible de les envisager comme résultante d’une négociation sociale.

L’ensemble des organisations sociales ont appelé à battre le RN pour les organisations ou, à défaut, ont mis en garde contre son programme économique pour les organisations patronales. Pourquoi ne pas leur déléguer une négociation sur le niveau planifié des rémunérations sur vingt-quatre mois avec pour cadre indicatif les objectifs évoqués plus haut ? Cela aurait le mérite de relancer la démocratie sociale en mettant tous et chacun devant leur responsabilité… quitte à ce que la puissance publique reprenne la main en cas d’échec global ou même partiel par exemple d’ici l’automne.

Budget subi ou compromis abouti  

Il en va différemment pour le budget 2025, tant il serait hasardeux à ce stade de prévoir un collectif budgétaire sur l’exercice en cours. Nous sommes au mois de juillet. La trajectoire des finances publiques proposée à Bruxelles est actée. Reste donc à prévoir un budget forcément infléchi, pour tenir compte du vote des Français et des possibles au sein de l’Assemblée sortie des urnes qui prendra ses fonctions à compter du 18 juillet.

C’est le vote de ce budget qui délimitera la nouvelle majorité… absolue – c’est souhaitable – ou relative à défaut et à supposer que celle-ci n’ait pas été renversée par une motion de censure des oppositions dans leur ensemble. Ce cadre impose le compromis comme un passage obligé, sans doute compliqué à construire, mais potentiellement porteur d’autres possibles dans d’autres domaines législatifs d’ici la fin de la mandature. 

Les grands équilibres – éducation, santé, armées, justice, police… – ne pourront guère être bouleversés significativement. Dire le contraire reviendrait à se bercer d’illusions et à mentir à nos électeurs. Mais des infléchissements sont possibles avec le renforcement des services publics comme boussole. Un moyen de ne pas décevoir et de récupérer quelques électeurs égarés. Pas de quoi « changer la vie » évidemment, mais suffisamment pour améliorer ce qui peut l’être par exemple à l’école ou dans la santé.

Toute la série
1. La gauche ne peut pas gouverner seule
2. Une politique du possible
3. Changer la République

Boris Enet