Erik Orsenna : « Il faut réinventer d’urgence un pacte avec nos agriculteurs »

publié le 17/02/2024

Comment nourrir sans dévaster ? Où doit passer la frontière entre écologie et agriculture ? Entretien avec l’académicien français.

L'écrivain et académicien français Erik Orsenna- Photo DOMINIQUE FAGET / AFP

Dans « Nourrir sans dévaster. Petit précis de mondialisation – VIII » (Flammarion), Erik Orsenna pose, sous des allures de balade champêtre mondiale, des questions brûlantes d’actualité dans une société déconcertée. Qu’est-ce que moteur de notre vie, sinon l’alimentation ? Doit-on faire confiance à la science ? Qu’est-ce qu’une agriculture durable ? « C’est qui le patron », sinon le consommateur ? C’est drôle, fin, savant, pertinent, parfois dérangeant. Il fallait bien un ancien ministre de l’Agriculture comme Julien Denormandie et un académicien paysan, Erik Orsenna, pour nous remettre le nez au cœur du sillon. Entretien.

LeJournal.info : Pour écrire ce livre vous avez beaucoup voyagé, vu beaucoup de paysages… On est toujours plus intelligent quand on revient de la foire, c’est ça ?

Erik Orsenna : Oui, exactement, comme on le dit dans nos campagnes.

Avez-vous été surpris par la récente crise agricole ?

Surpris ? Pas du tout. Après une première année d’enquête et de mise en commun de nos expériences, nous écrivions fin septembre 2023 que la relation de la France avec ses agricultures (notez le pluriel) marchait sur la tête : confiance rompue, concurrences déloyales, importation de 50 % de nos fruits et légumes, sauvetage du pouvoir d’achat en imposant des prix toujours plus bas, honte de « produire ». Notre surprise est venue de la dimension internationale de la révolte. Même en Inde ! Pour ce qui concerne les Français, nous devons d’urgence réinventer un pacte avec nos agriculteurs.

« Pour une fois, je suis favorable au « en même temps » : nourrir, c’est à dire produire, mais en protégeant toujours mieux. »

Que vous inspire le recul du gouvernement sur les pesticides ?

Nous ne sommes pas d’accord sur ce point. Julien pense nécessaire de revoir les indicateurs. Je trouve cette « pause » du plan Ecophyto un très mauvais signal. Pour une fois, je suis favorable au « en même temps » : nourrir, c’est à dire produire, mais en protégeant toujours mieux.

Comment concilier agriculture et environnement ? N’est-ce pas impossible ?

Nous n’avons pas le choix. Stéphane Le Foll avait raison : pas de salut à long terme sans une agriculture qui respecte les milieux, donc une Agro Écologie. Et de nombreuses pistes s’offrent à nous, longuement détaillées dans le livre : numérique, robotique (robot ou glypho, il faut choisir, sauf si vous êtes prêts à biner !) agriculture régénérative, meilleur soin du sol, solutions fondées sur la nature, soutien accru à la recherche… Concilier les contraires et trancher quand nécessaire n’est-ce pas l’essence même de la politique ?

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La percée du RN dans le monde rural vous inquiète-t-elle ?

Hélas, le RN joue sur les peurs. Comme dans tous les domaines, ils cèdent à de la pure surenchère. Pensent-ils vraiment que fermer les frontières résoudra tous les problèmes ? Notre Europe peut et doit être améliorée, sans nul doute. Mais sans l’appui d’une politique agricole commune, plus de la moitié de nos exploitations fermeraient.

Jusqu’où peut-on aller dans la défense de la cause animale ?

J’ai abordé longuement cette question dans un livre précédent (sur les cochons). Oui, oui, mille fois oui, mieux respecter les animaux. Mais imagine-t-on nos paysages sans eux, sans les services qu’ils rendent? Et si c’est pour importer à bas prix la viande venue d’élevage de 20 000 vaches…

Quels sont les grands écrivains que le monde rural a inspirés… vous mis à part ?

La « Nature » passionne les auteurs. Mais rares sont ceux qui, aujourd’hui, écrivent sur l’agriculture. Pour être pertinent il faut visiter fermes et porcheries, c’est-à-dire porter un intérêt concret aux paysans d’aujourd’hui.

Irez-vous au Salon de l’Agriculture ?

On dirait que les Français ne s’intéressent à leur agriculture qu’une semaine par an, durant le salon. Dommage. Bien sûr nous serons au prochain ! Mais riches de tout ce que nous avons appris les 51 autres semaines. Voyage au cœur de nos contradictions : citoyens et consommateurs, selon les moments…

Propos recueillis par Bernard Attali

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