La France qu’on aime

par Laurent Joffrin |  publié le 21/02/2024

Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon… Au cœur d’une nation pessimiste et divisée, un court mais rassurant moment d’espoir, qui incarne la véritable identité française, loin des mensonges de l’extrême-droite.

Laurent Joffrin

Un moment de ferveur dans ce pays traversé par le doute, une éphémère mais émouvante communion autour de nos valeurs, malgré la discorde environnante… Autour de qui ? D’un immigré et de son épouse, sans papiers, d’un communiste désigné comme terroriste par l’occupant et par Vichy, d’un combattant poète, avec 23 de ses compagnons résistants, dont Aragon avait écrit l’oraison et qu’il faut encore citer :
« Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles (…)
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
(…)
Mais à l’heure du couvre-feu, des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
»

C’est ainsi qu’il faut comprendre la cérémonie d’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian, si l’on garde, un tant soit peu, au fond de soi, confiance dans cette République malmenée. Un pays qui convoque ses meilleurs symboles, ses plus hautes autorités, pour célébrer ces étrangers, ces parias venus de pays lointains, vilipendés et traqués par l’État français, ne peut pas être entièrement mauvais. Et cette république fatiguée par les crises et les divisions, en dépit des tentation nationalistes qui égarent un tiers des électeurs, possède des valeurs qui parlent encore au cœur des Français.

Quoique théâtral comme toujours, le discours d’Emmanuel Macron fut juste et émouvant, installant dans la mémoire nationale ces combattants jusque-là mal connus, sinon au sein de la gauche, et surtout de l’extrême-gauche. Juste et bienfaisante régularisation pour ce clandestin… Manouchian était communiste, cela explique peut-être le retard de cette reconnaissance : la mémoire historique rappelait que le comportement héroïque du PCF dans la Résistance, comme celui de l’Armée rouge qui a brisé la Wehrmacht, suivait une période sans gloire où, sur ordre de Staline, de 1939 à 1941, l’appareil du parti ménageait les troupes allemandes en raison du pacte germano-soviétique.

Injustice

Mais précisément, l’injustice demeurait. Comme un certain nombre de communistes, Manouchian s’était affranchi des mots d’ordre de Moscou pour commencer le combat antinazi bien avant l’attaque de la Wehrmacht contre l’URSS. Survivant du premier génocide du siècle, contre les Arméniens, il avait compris qu’un autre était à l’œuvre, contre ses amis juifs. Et surtout, s’il est « mort pour la France » après avoir demandé deux fois, en vain, la nationalité française, c’est qu’il croyait dur comme fer en cette nation « patrie des Droits de l’Homme », dont certains affectent de se moquer ou de n’en parler que pour ses fautes. Celle des soldats de l’An II, celle d’Hugo, de Zola, de Jaurès et, au temps de la Résistance, du Général de Gaulle.

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Manouchian était internationaliste et patriote, chose que les nationalistes d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, ne comprennent pas. Pour lui la France n’était pas seulement une terre, une culture, un héritage, lui, l’exilé qui avait passé son enfance au loin. C’était une idée. Une idée inscrite à ses frontons, qui lui donne encore rayonnement et prestige dans ce monde menacé par les empires revenus. Comme hier autour du Panthéon, cette idée réunit encore les Français et les fait vibrer. N’en déplaise à Éric Zemmour et à Marine Le Pen, la liberté, les sacrifices qu’elle suscite, les combats qu’elle justifie, la flamme qu’elle fait toujours briller, a fait, comme l’a montré Manouchian, l’identité française.

Laurent Joffrin