Rentrée littéraire… mention bof !

par Jérôme Clément |  publié le 18/11/2023

Ni tant d’honneurs ni tant d’indignité pour la production de l’automne, pas de polémique, quelques ouvrages forts, des prix forcément mais pas de quoi soulever l’enthousiasme

Jérôme Clément

Peut-on tirer quelques enseignements de cette rentrée littéraire en France, à première vue, assez calme ? Pas de polémique majeure, pas de lutte au couteau entre deux auteurs, comme l’an dernier entre Le mage du Kremlin, de Giuliano de Empoli (Gallimard), et  Vivre vite  (Flammarion), de Brigitte Giraud, qui, finalement, emporta le prix Goncourt 2022.

Il est vrai que l’actualité politique du Proche-Orient remplit de bruit et de fureur tout l’espace médiatique. Il n’empêche, contrairement aux pays voisins où sont publiés d’excellents livres en cette rentrée, en France, il n’y a rien d’exceptionnel.

C’est sans doute le livre de Neige Sinno, Triste Tigre, paru chez POL, prix Femina, qui a le plus attiré l’attention. Un livre autobiographique, une histoire intime d’inceste. D’autres se situent entre le roman et l’essai : Cécile Desprairies, historienne, nous plonge avec La propagandiste (Seuil) dans la collaboration de toute sa famille avec le nazisme. Sur la question de l’écologie, le livre de Gaspard Koenig Humus, (L’Observatoire) nous fait vivre les tribulations de deux étudiants en agronomie, en proie aux contradictions écologiques de leur époque. Avec Les Insolents d’Ann Scott, (Calmann Levy) prix Renaudot, dont l’héroïne décide de renoncer à tout pour se réinventer une autre vie, ces thèmes font partie des débats de société. Histoires personnelles certes, mais loin de l’autofiction des écrits d’Annie Ernaux ou de Christine Angot.

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Comment qualifier le beau livre –  mon préféré – de Laure Murat, Proust, roman familial, (Robert Laffont) ? Entre l’essai sur Proust et sa vie sexuelle, il trace un portrait au vitriol de l’aristocratie.  Il ne s’agit plus seulement d’intimité. La ligne s’est déplacée. Pour rappeler un fait d’histoire, comme l’écrit Dan Franck dans L’arrestation, (Grasset), épisode du mouvement Action Directe auquel il a été mêlé, ou  Sorj Chalandon avec L’enragé, (Grasset), l’évasion d’une colonie d’enfants à Belle-Île en 1934.

Pour les autres ouvrages, les frontières entre les genres s’estompent. Retenons La mémoire délavée, de Natacha Appanah (Mercure de France), Le château des rentiers, d’Agnès Desarthe (Éditions de l’Olivier), ou encore À ma sœur et unique, de Guy Boley (Grasset), consacré à la sœur de Nietzsche.

Les jurys des prix littéraires devront trancher parmi des œuvres très diverses, sans orientation particulière ni auteur dominant. Une production marquée par une forte présence féminine. Entre la perle rare, un nouvel écrivain, comme Mohamed Mbougar Sarr (Philippe Rey) il y a trois ans, Goncourt 2021, avec La plus secrète mémoire des hommes ? Ou un traitement totalement original, comme l’Anomalie de Hervé Le Tellier, Goncourt 2020 qui connut un énorme succès ?

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 Faut-il privilégier l’originalité ou la recherche du succès ? L’objectif final est aussi, on le sait, de toucher un large public et, donc, pour les libraires comme éditeurs, faire vendre. Le prix Goncourt 2023, Veiller sur elle de Jean Baptiste Andrea (L’Iconoclaste) avait déjà reçu le prix du roman FNAC et connu un début de succès nécessairement accentué par le Goncourt.

Andrea nous entraîne dans une aventure métaphysique et artistique dans le Piémont du XIXe siècle, bien loin des tracas d’aujourd’hui.

Est-ce le retour du romanesque ? On constate que “les romances”, “les feel-good” (se sentir bien ), les policiers ou livres “Young adult” ( littérature jeunes adultes ) sont en tête des ventes. Un engouement toujours plus grand qui suscite l’inquiétude des éditeurs et des auteurs plus classiques. En attendant les livres écrits avec l’intelligence artificielle… Que nous reste-t-il ? Sinon la littérature.

“L’écrivain s’empare de la réalité pour en faire une vérité”, dit Irène Frain dans son dernier livre Écrire est un roman (Seuil). D’ailleurs, n’est-ce pas le dernier livre de Modiano, prix Nobel de Littérature, La danseuse (Gallimard), qui figure toujours aujourd’hui dans les meilleures ventes ?

Jérôme Clément

Editorialiste culture