Les larmes de crocodile de Zemmour

publié le 17/02/2024

Chaque dimanche, un regard engagé sur une semaine d’actualité. Que retenir dans le flot d’informations qui inonde les médias, entre écume des jours et vague de fond ? L’essentiel

Laurent Joffrin- Photo JOEL SAGET / AFP

Lundi – Les nuances de Julie Gayet

« Je ne suis pas là pour donner des noms ou pour dire qu’untel est un salopard ». Dans l’entretien qu’elle m’a donné pour LeJournal.Info, Julie Gayet se désolidariserait-elle du mouvement @metoo qui secoue en ce moment le cinéma français ? C’est le contraire qui est vrai. Elle met le doigt sur deux points décisifs. Il ne suffit pas, en premier lieu, de dénoncer une collection de prédateurs disparates dont l’élimination ramènerait la sécurité pour les actrices, les techniciennes ou les assistantes. Il s’agit un système qui met les femmes de ce milieu à la merci de tout agresseur disposant d’une position de pouvoir, comédiens stars ou metteurs en scène (metteuses en scène, parfois).

Ce sont donc, seconde conclusion, des mesures d’ensemble qui, seules, sont à même, de rétablir des relations professionnelles sûres, comme celles que proposent la Fondation des Femmes et le collectif 50/50, dont fait partie Julie Gayet  : prise de conscience collective, référents à l’écoute des victimes (un homme et une femme par plateau), « régleurs d’intimité » pour les scènes dénudées, accompagnement obligatoire des mineures sur les tournages… Autrement dit, il ne suffit pas de dénoncer, il faut réformer.  

Mardi – Mayotte et le silence de la gauche

La gauche, encore elle, dénonce la remise en cause du « droit du sol » à Mayotte. Elle n’a pas tort : la mesure servirait de précédent pour attaquer cette règle républicaine ailleurs. Gérard Larcher vient ainsi de proposer son extension à d’autres territoires français. Mais elle reste étrangement muette sur la situation dans l’île, où la présence de milliers d’immigrés illégaux a provoqué l’enkystement de ghettos misérables et souvent délinquants, qui rendent la vie impossible au reste de la population frappée par une insécurité insupportable. Refus de dire les choses, refus de chercher des solutions rationnelles et donc, au bout du compte, refus de gouverner…     

Mercredi – Badinter et le « wokisme »

On me reproche d’avoir noté que Robert Badinter défendait une philosophie de la justice et de la démocratie qui se situe à l’opposé des thèses décoloniales, intersectionnelles ou néo-féministes. C’est pourtant la stricte vérité, que me confirme un ami qui avait déjeuné avec lui il y a quelques semaines. Badinter était un universaliste intransigeant : le contraire de la « politique de l’identité », qui sévit à l’extrême-gauche et même dans une partie de la gauche. J’ai aggravé mon cas en employant le mot « woke » pour désigner ces courants militants. C’est le vocable employé par la droite, me rétorque-t-on. Mais alors que faut-il dire  ?

Au vrai, l’argument est confus : le mot tire son origine du mouvement lui-même, qui s’est appelé « woke » (« éveillé ») dès le début, avant que la droite ne s’en empare dans une intention polémique. Le récuser maintenant, c’est une tactique destinée à éviter le débat, en brandissant un argument purement rhétorique. Pourtant le débat existe, à gauche aussi. Et pour le mener, il faut bien appeler un chat un chat.  

Jeudi – Donald l’escroc

Trump condamné, cette fois par un tribunal new-yorkais qui lui reproche d’avoir honteusement triché sur son patrimoine pour obtenir de gras crédits bancaires. Amende de plus de 300 millions de dollars. Une paille… En France, le ministre Jérôme Cahuzac a vu sa carrière politique brisée nette quand il a avoué avoir dissimulé de l’argent à l’étranger pour réduire ses impôts : infraction du même tonneau que celle de Trump. Mais l’ancien président reste le favori des primaires, et même de l’élection…   

Vendredi – Navalny : larmes de crocodile

Indignation unanime en France, après la mort en prison D’Alexeï Navalny, qui s’est sacrifié pour la cause de la liberté en rentrant en Russie il y a trois ans. Éric Zemmour et Marine Le Pen se sont joints aux hommages, par de sobres communiqués. Parfaite hypocrisie. Avant la guerre d’Ukraine, alors que la persécution de Navalny avait commencé depuis longtemps, les deux leaders de l’extrême-droite n’avaient pas de mots assez aimables pour son bourreau. « Il nous faut un Poutine français », disait Zemmour.

Marine Le Pen a confessé publiquement « son admiration » pour le dictateur russe et, par trois fois au Parlement européen, le RN a refusé de voter une résolution condamnant les mauvais traitements infligés à Navalny par le régime poutinien. Les larmes de crocodiles versées à sa mort confirment un soupçon ancien quant au projet réel nourri par l’extrême-droite, qui n’a pas grand-chose à voir avec nos valeurs démocratiques.

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Samedi – Macky Sall et « le gouvernement des juges »

Parlant encore de Trump, j’ai remarqué cette fois que lui et Sarkozy employaient la même défense médiatique pour expliquer leurs déboires, qui consiste à accuser la justice de conspiration partisane. Je plaidais à cette occasion pour la défense de l’état de droit, pilier des systèmes démocratiques, qui place les gouvernants sous la surveillance de contre-pouvoirs chargés de dire le droit et de protéger les libertés publiques.

Pour ceux qui doutent de leur utilité, qui dénoncent avec mauvaise foi « le gouvernement des juges » et leur opposent la souveraineté des majorités électorales, la démonstration est venue du Sénégal. Tenté par une forme de despotisme personnel, le président Macky Sall a voulu reporter sine die les élections générales. C’est le Conseil constitutionnel sénégalais qui a bloqué ce coup d’État juridique en annulant la loi votée par le Parlement, pourtant « souverain ». On ne sait comment tournera la crise qui secoue d’une des rares démocraties en Afrique. Mais les juges suprêmes, quoi qu’il arrive, ont bien mérité de la liberté.